Précisions sur le champ d’application des dispositions de la loi Pinel prohibant la renonciation du locataire commercial à une ou deux facultés de résiliation triennale

Par Nicolas Sidier et Aurélie Pouliguen-Mandrin

Si le bail commercial est connu sous le nom de « bail 3-6-9 », c’est bien parce que la faculté de résiliation triennale offerte au preneur par l’article L. 145-4 du Code de commerce constitue l’un des droits essentiels du preneur.

 

Ces dispositions pouvaient être contournées et la pratique consistant à convenir d’une durée « ferme » supérieure à trois années s’était largement développée.

 

C’est du moins ce que considérait le législateur qui a limité par la loi dite Pinel du 18 juin 2014, les hypothèses dans lesquelles le preneur était susceptible de renoncer à une ou deux facultés de résiliation triennale.

 

Il est désormais impossible de conclure des baux avec une durée ferme supérieure à trois ans, cet article étant visé à l’article L. 145-15 du Code de commerce, toute clause contraire est réputée non écrite, à l’exception des hypothèses suivantes :

 

– les baux d’une durée supérieure à neuf années,
– les baux des locaux monovalents,
– les baux de locaux à usage exclusif de bureaux,
– et les baux de locaux de stockage.

 

Pour tous les autres baux, il est interdit de prévoir une renonciation à une voire deux facultés de résiliation triennale.

 

La question s’est donc posée de savoir à quels contrats s’appliquaient les nouvelles dispositions, la loi Pinel n’ayant rien prévu à ce titre : aux seuls nouveaux baux, conclus après sa promulgation ? Ou à l’ensemble des baux, en ce compris ceux en cours conclus antérieurement au 20 juin 2014 ?

 

Malgré quelques positions dissidentes, la pratique avait opté pour la première position.

 

Il a toutefois été demandé à la secrétaire d’état chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire si les dispositions de l’article L.145-4 avaient vocation à s’appliquer à l’ensemble des baux commerciaux, y compris ceux signés avant l’adoption de la loi Pinel. Or, c’est par l’affirmative que la Ministre a répondu :

 

« En l’occurrence, la faculté de résiliation du preneur à l’expiration d’une période triennale relève de l’ordre public de protection sans remettre en cause l’équilibre économique du contrat. Cette règle nouvelle régissant immédiatement les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées, elle devra, en conséquence, s’appliquer aux baux commerciaux conclus avant l’entrée en vigueur de l’article 2 de la loi du 18 juin 2014.
Cette solution est justifiée par la nécessité d’assurer l’égalité de traitement des preneurs de baux commerciaux et dans un souci d’efficacité de la règle nouvelle
» (réponse ministérielle n°9354 JOAN Q, 31 mai 2016, page 4684).

 

Cette position surprenante se fonde sur l’article 2 du code civil qui prévoit que la loi ne dispose que pour l’avenir et n’a point d’effet rétroactif, la jurisprudence considérant de manière établie que le contrat demeure régi par la loi en vigueur à l’époque où il a été conclu. C’est d’ailleurs l’un des socles de la sécurité juridique des contrats. Cependant à titre d’exception, la loi nouvelle d’ordre public qui régit les effets légaux du contrat s’applique immédiatement aux contrats en cours.

 

S’il ne peut être contesté que l’article L.145-4 du code de commerce est considéré comme étant d’ordre public – car visé à l’article L. 145-15 du même Code – il n’en demeure pas moins que la motivation de la ministre est contestable.

 

Il est fait référence à « l’ordre public de protection » qui ne doit pas remettre en cause « l’équilibre économique du contrat », « l’égalité de traitement des preneurs de baux commerciaux » devant être assurée.

 

Or, il est certain que les périodes de baux dites « fermes » et la renonciation par le preneur au bénéfice de ses facultés de résiliation triennale, font l’objet de contreparties négociées : prise en charge de travaux, investissements immobiliers, franchises de loyers, etc…

 

Sauf à envisager un mécanisme de restitution ou de compensation extrêmement délicat voire impossible à mettre en œuvre, de telles contreparties impliquent nécessairement une remise en cause de l’équilibre économique du contrat si la durée convenue du bail lors de sa conclusion, était modifiée.

 

Il n’est alors pas certain que « l’égalité de traitement » des bailleurs soit quant à elle, garantie…

 

La portée juridique de la réponse ministérielle est limitée puisqu’elle ne lie en aucune manière le pouvoir judiciaire, et il appartiendra à la jurisprudence d’affirmer sa position. Il n’est pas certain que cette position soit confirmée, dans la mesure où la durée du bail n’est pas un « effet légal » du contrat mais bien en la matière, son objet même.

 

La sécurité juridique exigerait en toute hypothèse, que la question soit tranchée rapidement.