Condamnation des bâches Heineken sur les échafaudages de la Monnaie de Paris

Par Eric Andrieu

Heineken était poursuivie pour des bâches mises en place sur les échafaudages permettant les travaux de la Monnaie de Paris sur lesquelles étaient reproduits les visuels de la campagne habituelle de la marque, évoquant, sous l’accroche « Open your world », un pont d’Amsterdam et le Port de Rotterdam.

 

Par jugement du 14 septembre 2017, le Tribunal de grande instance de Paris a rendu une décision par laquelle il se livre à une application très stricte et sans doute excessive des règles juridiques concernant la publicité des alcools.

 

– Le Tribunal estime tout d’abord que les bâches de chantier n’étant pas expressément visées à l’article L.3323-2 parmi les supports autorisés pour la publicité des alcools, elles sont interdites.

 

Il estime qu’une bâche d’échafaudage et une affiche sont différentes du fait de leur dimension mais également de la matière utilisée (papier/toile) ainsi que la réglementation applicable.

 

Cette analyse paraît discutable puisque d’une part :

 

* La dimension ou la matière sont sans lien avec la définition du Code de la santé publique.

 

* Le Tribunal cite les dispositions du Code du patrimoine selon lequel, dans le cadre de travaux sur des immeubles classés, l’autorité administrative « peut autoriser l’installation de bâches, d’échafaudages comportant un espace dédié à l’affichage. Les recettes perçues par le propriétaire du monument pour cet affichage sont affectées… ».

 

Le refus de la qualification d’affichage semble donc particulièrement sévère.

 

* Dans le domaine (traditionnellement plus sévère) de la publicité du tabac, les juges ont pu admettre que des images fixes diffusées sur des terminaux informatiques dans les débits de tabac pouvaient correspondre à la définition de l’affichage.

 

– Par ailleurs, le Tribunal, après avoir rappelé qu’il n’était pas lié par les décisions de l’ARPP, sanctionne le slogan « Open your world » en considérant qu’il doit se traduire par « Ouvrez votre monde » et non par la formule à laquelle renvoyait un astérisque « Ouvrez une Heineken, c’est consommer une bière vendue dans le monde entier ».

 

Cette jurisprudence s’inscrit dans le fil de la sanction prononcée dans la campagne « Un Ricard. Des rencontres ».

 

– Le Tribunal retient qu’il s’agit d’une incitation à consommer de l’alcool afin d’ouvrir son monde, voire de s’ouvrir au monde grâce à l’effet supposé désinhibiteur de la consommation d’une Heineken.

 

Si l’on critique habituellement les sanctions prononcées par les tribunaux en raison du reproche du caractère incitatif d’une publicité, il faut noter qu’ici il ne s’agit pas simplement d’une incitation à consommer de l’alcool qui est sanctionnée, mais d’une incitation à consommer de l’alcool « afin d’ouvrir son monde », ce qui est différent.

 

Il reste que le constat factuel du Tribunal (il y a une incitation à consommer de l’alcool afin d’ouvrir son monde) peut être discuté.

 

– Le Tribunal interdit enfin les visuels représentant un pont d’Amsterdam et le Port de Rotterdam, quand bien même il s’agirait de références géographiques à l’origine de la bière Heineken et ce du fait qu’il s’agirait, compte tenu de la forme utilisée, d’un lien entre la consommation d’alcool et l’univers festif de la nuit, le tout constituant une incitation excessive à la consommation d’alcool.

 

Là encore, la sanction de l’incitation peut se justifier sur le principe (même si elle est discutable en l’espèce) puisqu’elle apparaît comme visant le caractère excessif de la consommation.

 

Il est dommage que le Tribunal ajoute :

 

« Ainsi, même si la publicité en faveur des alcools n’est pas totalement interdite, qu’elle ne peut être réduite à de l’information, car elle est par nature destinée à donner une image valorisante d’un produit et inciter à son achat, ce visuel constitue une incitation directe à la consommation de la bière Heineken et délivre donc un message qui ne se limite pas aux indications autorisées par la loi. »

 

la différence entre l’incitation à l’achat et l’incitation à la consommation qui semble en être le corollaire étant difficilement compréhensible.

 

Consulter le jugement du TGI Paris – Heineken c/ ANPAA – 14-09-2017