La cessation d’activité d’une société intégrée à un groupe

Par Constance Bouruet et Stéphanie Gosselin

Par deux arrêts récents, la Cour de cassation vient de délimiter les possibilités de licenciement pour motif économique en cas de cessation définitive d’activité d’une entreprise intégrée à un groupe de sociétés (Cass. soc. 18 janvier 2011 n°09-69.199, Sté Jungheinrich c/ Delimoges et autres ; Cass. soc. 1er février 2011 n°10-30.045, Goodyear Dunlop Tires c/ Talabard et a.).

 

Il convient de rappeler qu’en principe la cessation d’activité constitue un motif autonome de licenciement économique, au même titre que des difficultés économiques, une mutation technologique ou une réorganisation en vue de la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise.

 

Il importe peu pour les juges que l’entreprise soit intégrée (Cass. soc. 8 juillet 2009 n°08-41.644, Pigeot c/ Sté Papeterie de l’Atlantique) ou non à un groupe de sociétés (Cass. soc. 16 janvier 2001 n°98-44.647, Morvant c/ Sté Le Royal Printemps ; Cass. soc. 16 mars 2004 n°02-40.633). Quel que soit le cas de figure, la cessation d’activité peut être valablement invoquée comme motif de licenciement économique.

 

Toutefois, si la cessation d’activité constitue un motif autonome de licenciement économique (I), la Cour de cassation reconnaît deux grandes exceptions à ce principe (II). Par ailleurs, en présence de groupe de sociétés, le contrôle du juge judiciaire en situation de cessation d’activité se trouve renforcé (III).

 

 

I. La cessation définitive d’activité : un motif autonome du licenciement économique

 

En situation de cessation d’activité, l’entreprise peut valablement licencier son personnel pour motif économique.

 

Dans une telle hypothèse, il n’est nul besoin pour l’employeur de justifier d’autres raisons économiques, telles que des difficultés économiques importantes, une mutation technologique ou encore la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise.

 

La cessation d’activité constitue en soi une cause économique de licenciement.

 

Cependant, la cessation d’activité n’est un motif autonome de licenciement qu’à la condition que cette cessation d’activité soit à la fois totale et définitive.

 

N’est ainsi nullement fondé, le licenciement qui résulte d’une cessation partielle (Cass. soc. 10 octobre 2006 n°04-43.453) ou temporaire d’activité ou encore la fermeture d’un seul établissement (Cass. soc. 14 décembre 2005 n°04-40.396) ou d’un département de l’entreprise (Cass. soc. 26 juin 2005 n°03-43.664).

 

II. Une autonomie relative : les limites à la cessation d’activité comme motif de licenciement économique

 

La Cour de cassation consacre deux grandes exceptions au principe précédemment exposé.

 

Au travers des arrêts du 18 janvier et 1er février 2011, la Haute Juridiction limite en effet la possibilité, pour une entreprise appartenant à un groupe, d’invoquer la cessation de son activité comme motif de licenciement économique de son personnel lorsqu’est constatée soit une faute ou une légèreté blâmable de l’employeur, soit l’existence de « co-employeurs ».

 

1. L’existence d’une faute ou d’une légèreté blâmable de l’employeur

 

La cessation d’activité totale et définitive d’une entreprise constitue un motif suffisant pour justifier un licenciement économique, y compris lorsque cette entreprise appartient à un groupe, sauf à démontrer que la fermeture de la filiale est la conséquence d’une faute ou d’une légèreté blâmable de l’employeur.

 

Dès lors qu’une faute ou une légèreté blâmable est constatée, le licenciement économique qui en résulte se trouve dépourvu de toute cause réelle et sérieuse.

 

Cette solution n’est pas nouvelle. La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de statuer sur un tel cas de figure considérant qu’était constitutive d’une légèreté blâmable, la cessation d’activité d’une filiale, décidée dans la hâte sur demande de la direction du groupe et alors même que cette entreprise était en bonne santé (Cass. soc. 28 octobre 2008 : RJS 1/09 n°24).

 

Dans son arrêt du 1er février 2011, la Cour de cassation confirme cette jurisprudence. Elle précise néanmoins que pour apprécier l’existence d’une faute ou d’une légèreté blâmable de l’employeur, il convient de se référer à la situation économique de l’entreprise en cessation d’activité.

 

La Cour de cassation précise ainsi que :

« si, en cas de fermeture définitive et totale de l’entreprise, le juge ne peut, sans méconnaître l’autonomie de ce motif de licenciement, déduire la faute ou la légèreté blâmable de l’employeur de la seule absence de difficultés économiques ou, à l’inverse, déduire l’absence de faute de l’existence de telles difficultés, il ne lui est pas interdit de prendre en compte la situation économique de l’entreprise pour apprécier le comportement de l’employeur».

 

Il en résulte qu’en situation de cessation totale et définitive d’activité, l’existence de difficultés économiques ne suffit pas en soi à conclure à l’absence de faute ou de légèreté blâmable de l’employeur. A l’inverse, le fait que la société en cessation d’activité soit bénéficiaire ne caractérise pas l’existence d’une faute ou d’une légèreté blâmable de l’employeur.

 

En l’espèce, la Cour de cassation confirme la solution retenue en appel. Pour déterminer l’existence ou non d’une faute ou d’une légèreté blâmable de l’employeur, la Cour d’appel avait pris en considération non seulement la santé économique de l’entreprise mais également son degré d’autonomie par rapport à la holding du groupe Goodyear Dunlop. Les juges du fond avaient constaté que la holding contrôlait intégralement la filiale, dont elle détenait l’intégralité du capital, et que la décision de fermer définitivement l’entreprise était imputable à la direction du groupe. Alors même que la filiale justifiait de résultats positifs, la holding avait décidé de sa fermeture « non pas pour sauvegarder sa compétitivité, mais afin de réaliser des économies et d’améliorer sa propre rentabilité, au détriment de la stabilité de l’emploi dans l’entreprise concernée ».

 

La Cour de cassation considère ainsi que la Cour d’appel « a pu déduire » de ces circonstances de fait que « l’employeur avait agi avec une légèreté blâmable et que par conséquent les licenciements étaient dépourvus de cause réelle et sérieuse » (Cass. soc. 1er février 2011 n°10-30.045, Goodyear Dunlop Tires c/ Tabalard et a.).

 

2. L’existence de « co-employeurs »

 

Dans un arrêt du 18 janvier 2011 (dit arrêt « MIC »), la Cour de cassation vient de consacrer une nouvelle exception au principe du licenciement économique pour cessation définitive d’activité (Cass. soc. 18 janvier 2011 n°09-69.199, Sté Jungheinrich c/ Delimoges et autres).

 

Pour la première fois, la Haute juridiction détermine le périmètre à prendre en compte pour apprécier le motif économique des licenciements de salariés d’une filiale en cessation d’activité insérée dans un groupe de sociétés.

 

Il résulte de cette jurisprudence que dans une telle configuration, la raison économique des licenciements doit s’apprécier non pas au niveau de la filiale concernée mais au niveau du groupe auquel elle appartient quand bien même l’activité serait différente.

 

La Cour de cassation tire sa solution du degré d’autonomie de la filiale par rapport à la holding du groupe.

 

Ainsi, si la filiale justifie d’une complète autonomie de gestion sociale et financière, la cessation définitive de son activité suffira à justifier un licenciement sans qu’il soit nécessaire d’en apprécier la raison économique au niveau du groupe.

 

En revanche, lorsque la société mère s’immisce dans la gestion d’une de ses filiales au point que cette dernière ne dispose plus d’aucune marge de manœuvre, comme ce fut le cas dans l’arrêt « MIC », la holding est considérée comme « co-employeur» du personnel de la filiale.

 

De jurisprudence constante, la qualité de « co-employeur » peut être déduite soit de l’existence d’un lien de subordination d’une société sur le personnel d’une autre société (Cass. soc. 4 octobre 2007 n°06-44.486), soit de la confusion d’intérêts, d’activités et de direction entre deux sociétés (Cass. soc. 1er juin 2004 n°02641.176).

 

C’est dans cette dernière hypothèse que s’inscrit l’affaire « MIC ».

 

La société Mécanique Industrie Chimie (« MIC »), filiale française de la société allemande Jungheinrich Finances Holding (« JFH »), s’est vue contrainte de licencier ses salariés pour motif économique du fait du transfert de ses services administratifs et commerciaux au sein de la holding, entraînant ainsi la cessation définitive de son activité. Certains salariés licenciés, contestant la rupture de leur contrat de travail, ont intenté une action en justice non seulement contre la société MIC mais aussi contre la société JFH en qualité de « co-employeur ». Par une appréciation souveraine des faits, la Cour d’appel saisie du litige a constaté l’absence d’autonomie de la société MIC au regard de la société mère JFH et retenu la qualité de « co-employeur » de la holding vis-à-vis du personnel licencié.

 

En effet, les juges du second degré ont pu constater que :

  • l’activité économique de la société MIC était entièrement sous la dépendance du groupe Jungheinrich, qui absorbait 80% de sa production et fixait les prix ;
  • la société JFH détenait la quasi-totalité de son capital ;
  • il existait une gestion commune du personnel des sociétés MIC et JFH, sous l’autorité de la holding ;
  • la holding dictait à la filiale ses choix stratégiques ;
  • la holding intervenait de manière constante dans les décisions concernant la gestion financière et sociale de la cessation d’activité de la société MIC et le licenciement de son personnel ;

 

Constatant ainsi l’existence de « co-employeurs», la Cour d’appel examine le motif économique de ces licenciements au niveau du groupe Jungheinric.

 

La présence de « co-employeurs » suppose en effet que les licenciements économiques soient justifiés à l’égard de chacun d’eux.

 

Par conséquent, alors même que la filiale et la holding ont des personnalités juridiques distinctes, les licenciements doivent être fondés sur un motif économique apprécié tant au niveau de la filiale que de celui du groupe auquel elle appartient.

 

En l’espèce, la Cour d’appel a estimé que la cessation définitive d’activité de la société MIC n’était justifiée par aucune cause économique au sein du groupe Jungheinric. Elle a engagé par conséquent la responsabilité de la société mère, en qualité de « co-employeur » et l’a condamnée au versement d’indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

 

La Cour de cassation confirme l’analyse de la Cour d’appel et énonce que « lorsque les salariés ont pour co-employeurs des entités faisant parties d’un même groupe, la cessation d’activité de l’une d’elles ne peut constituer une cause économique de licenciement qu’à la condition d’être justifiée par des difficultés économiques, par une mutation technologique ou par la nécessité de sauvegarder la compétitivité du secteur d’activité du groupe dont elles relèvent ».

 

Or, en l’espèce, la haute juridiction relève que la cessation d’activité de la société MIC « ne résultait que de choix stratégiques décidés au niveau du groupe sans que des difficultés économiques les justifient au niveau du secteur d’activité du groupe ».

 

Dès lors, en l’absence de motif économique au niveau de la holding, les licenciements litigieux étaient nécessairement dépourvus de cause réelle et sérieuse.

 

 

III. Un contrôle renforcé des juges en présence de groupes de sociétés

 

1. La prise en compte des choix de gestion du groupe

 

A travers les arrêts du 18 janvier et 1er février 2011, les juridictions d’appel ont porté une attention particulière aux choix de gestion que peut opérer une holding sur ses filiales.

 

Dans la première espèce, la Cour d’appel considère que la décision du groupe de transférer les services de sa filiale au sein de la holding ne constitue pas une nécessité économique.

 

Dans la seconde espèce, elle constate que le choix du groupe de fermer définitivement sa filiale avait été opéré dans le seul but d’améliorer la rentabilité du groupe, caractérisant ainsi une légèreté blâmable de l’employeur.

 

Chacune de ces analyses a été validée par la Haute juridiction alors qu’il est de jurisprudence constante que si les juges du fond sont tenus de contrôler la réalité du motif économique sur lequel repose le licenciement, ils ne leur appartient pas de s’immiscer dans la gestion de l’entreprise et d’apprécier l’opportunité des choix opérés par l’employeur (Cass. Ass. Plén. 8 décembre 2000 n°97-44.219, Sté anonyme de télécommunication c/ Coudière et autres : RJS 2/01 n°180 ; Cass. soc. 8 juillet 2009 n°08-40.046, Fondation Hôpital St Joseph c/ Lottmann).

 

On ne peut néanmoins en déduire un revirement de jurisprudence dans la mesure où cette extension du contrôle judiciaire semble se limiter aux entreprises insérées dans des groupes de sociétés pour lesquels les juges ont reconnu la qualité de « co-employeurs » aux sociétés mères.

 

2. L’obligation de reclassement au sein de groupes internationaux

 

En vertu d’un arrêt « Vidéocolor » du 5 avril 1995, toute entreprise intégrée dans un groupe de sociétés qui envisage de licencier son personnel pour motif économique doit préalablement rechercher les possibilités de reclassement au sein du groupe auquel elle appartient (Cass. soc. 5 avril 1995 n°93-43.866).

 

Ce principe doit nécessairement être concilié avec celui de l’autonomie du motif économique qu’est la cessation définitive d’activité (Cass. soc. 8 juillet 2009 n°08-41.644, Pigeot c/ Sté Papeterie de l’Atlantique).

 

Ainsi, une filiale en cessation définitive d’activité ne pourra valablement licencier son personnel pour motif économique, sous les réserves précitées, qu’à la condition d’avoir préalablement tenté de reclasser ses salariés au sein des autres sociétés du groupe auquel elle appartient, dès lors qu’une permutabilité existe et que les législations locales applicables aux sociétés étrangères n’y font pas obstacle.

 

En ce sens, une circulaire du 15 mars 2011 relative aux modalités d’application de la loi du 18 mai 2010, visant à garantir de justes conditions de rémunération aux salariés concernés par une procédure de licenciement, vient de préciser les modalités du reclassement à l’étranger (Circ. DGT n°03 du 15 mars 2011).

 

La circulaire dispose ainsi que le périmètre de l’obligation de reclassement des entreprises appartenant à un groupe international « s’étend à l’ensemble du groupe dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation permettent la permutation de tout ou partie du personnel, y compris à l’étranger ».

 

Cela implique que les offres de reclassement des salariés au sein de groupes internationaux doivent correspondre à des emplois relevant de la même catégorie que ceux qu’ils occupaient précédemment ou à des emplois équivalents, assortis d’une rémunération équivalente (Article L.1233-4 du Code du travail), afin d’éviter des offres de reclassement de salariés jugées indignes. La loi du 18 mai 2010 a en effet complété l’article L.1233-4 du Code du travail relatif au reclassement en y intégrant une condition supplémentaire de rémunération équivalente.

 

Ladite loi a dans le même temps instauré une procédure spécifique pour le reclassement à l’étranger selon laquelle, la filiale qui procède au licenciement de son personnel pour motif économique a l’obligation d’interroger chaque salarié concerné afin de savoir s’il accepterait de recevoir des offres de reclassement à l’étranger et sous quelles restrictions éventuelles quant aux caractéristiques des emplois offerts, notamment en termes de rémunération et de localisation (Article L.1233-4-1 du Code du Travail).

 

L’employeur doit interroger par écrit les salariés concernés préalablement à la notification de leur licenciement.

 

La circulaire du 15 mars dernier propose un modèle de questionnaire de mobilité qui peut être communiqué lors de la convocation à l’entretien préalable au licenciement ou, en cas de procédure de licenciement collectif, à l’issue de la dernière réunion des institutions représentatives du personnel et après application de l’ordre de licenciement. Aucun formalisme n’est imposé par la loi, toutefois le questionnaire doit être daté afin de justifier du respect de l’obligation de reclassement qui incombe à l’employeur. Par conséquent, il est de l’intérêt des entreprises d’adresser le questionnaire de mobilité par lettre recommandé avec avis de réception ou de le remettre en main propre contre décharge aux salariés concernés.

 

A réception du document, le salarié dispose d’un délai maximal de 6 jours ouvrables pour faire part de sa réponse, le cachet de la poste ou la date de remise contre décharge faisant foi. A l’issue de ce délai, l’absence de réponse vaut refus (Article L.1233-4-1, al 2 du Code du travail).

 

En cas d’acceptation, l’employeur doit adresser au salarié des offres de reclassement à l’étranger correspondantes à celles qu’il a accepté de recevoir en vertu du questionnaire de mobilité. Le salarié reste néanmoins libre de refuser les offres de reclassement proposées. En l’absence d’offre de reclassement correspondante, l’employeur doit en informer le salarié.

 

Le respect de l’ensemble de ces formalités par l’employeur met fin à son obligation de reclassement prévue à l’article L.1233-4-1 du Code du travail.

 

L’instauration d’une telle procédure spécifique a le mérite de faire l’économie de recherches et de propositions de reclassement inutiles et de valider le questionnaire de mobilité proscrit par la Cour de cassation pour les reclassements sur le territoire français (Cass. soc. 4 mars 2009 n°07-42381).

 

Le contrôle opéré par le juge judiciaire est par conséquent beaucoup plus poussé lorsque la cessation d’activité concerne une entreprise intégrée à un groupe de sociétés.