L’estoppel ou la limite au droit de se contredire.

Par Nicolas Sidier et Ana Khammy Boulom élève stagiaire

Par un arrêt du 15 mars 2018 (n°17-21.991) destiné à une large publication, la 2ème chambre civile de la Cour de cassation est venue préciser les conditions de mise en œuvre de l’estoppel.

 

Cela fait une dizaine d’années que les magistrats admettent en procédure civile l’estoppel que l’on peut définir comme :  » l’interdiction à une partie de se prévaloir d’une position contraire à celle qu’elle a eue antérieurement (…) de nature à induire l’autre partie en erreur sur ses intentions » [1].

 

Autrement dit,  » nul ne peut se contredire au détriment d’autrui « (…) en vertu « du principe de loyauté »[2].

 

L’originalité de cet argument de procédure est qu’il n’est pas issu d’un processus législatif mais d’une pure création jurisprudentielle inspirée elle-même du droit anglo-saxon.

 

La Cour de cassation a précisé dans sa décision du 15 mars 2018 que : « la fin de non-recevoir tirée du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d’autrui sanctionne l’attitude procédurale consistant pour une partie, au cours d’une même instance, à adopter des positions contraires ou incompatibles entre elles dans des conditions qui induisent en erreur son adversaire sur ses intentions ».

 

L’apport de cet arrêt est de préciser que si l’estoppel nécessite la présence d’une contradiction, encore faut-il que celle-ci soit intervenue au cours d’une même instance.

 

En l’occurrence, les positions certes contraires de la partie concernée n’avaient pas été avancées au cours de la même instance.

 

Grâce à cette décision on peut donc retenir que l’estoppel pour être admis nécessite la réunion des conditions suivantes :

 

– des prétentions contraires [3]

 

– susceptibles de perturber la bonne compréhension des intentions respectives des parties

 

– formulées au cours d’une même instance.

 

Outre un souci de cohérence qui paraît aussi sain que bien fondé, il ressort de cet arrêt une volonté de moraliser davantage les comportements des justiciables, érigeant l’estoppel en instrument de « police processuelle »[4].

 

[1] Cass. 1ère  civ, 3 février 2010, n° 08-21.288

[2] Cass. Com, 10 février 2015, n° 13-28.26

[3] Cass. 2ème civ, 22 juin 2017

[4] L. Cadiet et E. Jeuland, Droit judiciaire privé, 8e éd., LexisNexis, 2013, n° 486