Les pactes extrastatutaires peuvent-ils encore porter sur la gouvernance de SAS ?

Par Nicolas Sidier et Pierre Détrie

« Seuls les statuts d’une société par actions simplifiée fixent la façon dont celle-ci est dirigée »

 

Faut-il déduire de cet attendu de principe d’un arrêt[1]de la chambre commerciale que seuls les statuts d’une SAS, à l’exclusion de tout pacte extrastatutaire par exemple, peuvent fixer les modalités selon lesquelles celle-ci est dirigée ?

 

L’affaire concernait une personne physique, Monsieur X, qui a cédé en janvier 2005 98,81% de la participation qu’il détenait dans le capital de la société Cabinet Rexor à la société Sofirec. Monsieur X était également président du conseil d’administration de la société Cabinet Rexor.

 

Le protocole de cession prévoyait une clause de réduction de prix aux termes de laquelle ce dernier serait réduit, et une partie reversée au cessionnaire, « en cas de baisse du chiffre d’affaires au cours des exercices 2005 et 2006 dans la mesure où Monsieur X serait maintenu à son poste d’administrateur ».

 

Il y avait donc deux conditions cumulatives à la mise en œuvre de cette clause : (i) une baisse du chiffre d’affaires et (ii) le maintien de Monsieur X au poste d’administrateur.

 

En suite de la cession, une assemblée générale de la société Cabinet Rexor du 26 avril 2005 décidait de transformer la société en société par actions simplifiée. Les nouveaux statuts de la société ne prévoyaient pas l’existence d’un conseil d’administration mais l’on comprend que, dans les faits, Monsieur X a conservé un poste d’administrateur officieux.

 

Une Cour d’appel avait considéré que le maintien de fait des fonctions d’administrateur de Monsieur X justifiait l’application de la clause de réduction de prix puisque le chiffre d’affaires avait effectivement baissé sur la période concernée.

 

Il est vrai que la société Cabinet Rexor avait maintenu de fait un conseil d’administration même si celui-ci ne figurait pas dans ses statuts sous sa nouvelle forme de société par actions simplifiée. Plusieurs pièces produites (notamment procès-verbaux de réunions du conseil d’administration, rapport du conseil d’administration) attestaient effectivement du maintien en fait d’un conseil d’administration.

 

Une Cour d’appel s’était basée sur ces documents pour décider que, bien que les statuts de la SAS ne faisaient aucune référence à un conseil d’administration, le conseil d’administration avait été maintenu et que, par conséquent, Monsieur X avait conservé sa qualité d’administrateur.

 

Par un renvoi au visa des articles L. 227-1 et L. 227-5 du Code de commerce, la chambre commerciale de la Cour de cassation casse la décision d’appel et affirme que « seuls les statuts de la société par actions simplifiée fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée ».

 

L’article L. 227-1 pose le principe selon lequel les règles applicables à la société anonyme, dans la mesure où elles sont compatibles avec la société par actions simplifiée, s’appliquent à cette dernière à l’exception de tout un pan de règles (essentiellement celles relatives au conseil d’administration, au conseil de surveillance et aux assemblées d’actionnaires).

 

L’article L. 227-5 dispose quant à lui que « les statuts fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée ».

 

Bien entendu, l’exclusion des règles relatives au conseil d’administration ne signifie pas qu’une SAS puisse ne pas être doté d’un tel organe, la liberté statutaire étant totale ; encore faut-il que les statuts prévoient l’organe en question.

 

Quelles sont la portée et les conséquences de cet arrêt ? Faut-il en déduire, comme certains auteurs l’affirment, que des documents extrastatutaires tels que typiquement un pacte d’associés ne pourraient porter sur la direction d’une SAS ?

 

Cela paraît invraisemblable non seulement pour une raison d’opportunité car la pratique a consacré depuis longtemps les dispositions de pacte d’associés relatives à la direction des sociétés mais surtout parce que la Cour de cassation rappelle une règle de droit d’une particulière évidence.

 

Dans la mesure où les statuts n’avaient pas prévu de conseil d’administration – étant rappelé que tout organe appelé à diriger une société doit faire l’objet d’une publicité au Kbis – l’on voit mal comment une fonction d’administrateur de fait aurait pu recevoir une reconnaissance de la Cour de cassation.

 

La grande publicité de cet arrêt souhaitée par la Cour de cassation ne doit donc pas conduire à en exagérer la portée.

 

Il n’en demeure pas moins que les pactes extrastatutaires, comme les statuts, sont des conventions qui tiennent lieu de loi à ceux qui les ont formées. La récente réforme du droit des obligations a renforcé l’exécution forcée en nature des conventions en lui consacrant une place dans le Code civil.

 

Dans ces conditions, il est peu vraisemblable que les tribunaux privent d’effet un pacte prévoyant des modalités applicables à la direction d’une SAS au motif que ces modalités ne figureraient pas dans les statuts.

 

Il convient en revanche à notre sens de veiller avec attention à ce que les statuts d’une SAS reflètent fidèlement les accords extrastatutaires que ses associés pourraient avoir par ailleurs. Il y a fort à parier en effet que les clauses prévoyant, en cas de conflit entre les statuts et un pacte, la prévalence du pacte sur les statuts (ces clauses sont relativement fréquentes dans les pactes) ne pourront recevoir pleine application compte tenu de cet arrêt de la chambre commerciale.

 

[1] Com., 25 janvier 2017, n°14-28792 ; FS-P+B+R+I