La perturbation d’un service essentiel à l’entreprise peut justifier le licenciement pour absence prolongée ou répétée du salarié

Par Julie De Oliveira et Laëtitia Garcia

Si la maladie ne peut constituer en tant que tel un motif de licenciement sous peine de constituer une mesure discriminatoire fondée sur l’état de santé au sens de l’article L. 1132-1 du Code du travail, la jurisprudence a autorisé l’employeur à licencier un salarié absent pour maladie dès lors que cette absence a un impact sur le bon fonctionnement de l’entreprise.

 

Dans ce cas, ce n’est pas l’état de santé du salarié malade qui fonde le licenciement mais le trouble objectif subi par l’entreprise dont le fonctionnement est perturbé par l’absence prolongée ou répétée du salarié.

 

L’appréciation par les juges des conditions de légitimité d’un tel licenciement est cependant extrêmement rigoureuse. Ces conditions, particulièrement strictes et difficiles à démontrer en pratique, fragilisent ce type de licenciement.

 

La Cour de cassation soumet en effet la possibilité de licencier un salarié dont le contrat est suspendu par la maladie à la réunion de deux conditions cumulatives : la preuve que l’absence du salarié désorganise ou perturbe l’entreprise et la preuve que cette désorganisation rend indispensable le remplacement définitif du salarié absent (Cass. soc. 13 mars 2001, n°99-40110 ; Cass. soc. 21 septembre 2009, n°07-45713 notamment).

 

Ainsi, selon la jurisprudence, pour que le licenciement du salarié absent pour maladie puisse être validé par les juges, l’employeur doit justifier qu’il a recruté un nouveau salarié, extérieur à l’entreprise dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée pour occuper le poste et assurer les missions du salarié absent. Ce recrutement doit en outre intervenir à une époque proche du licenciement.

 

Plus compliqué, l’employeur doit également apporter la preuve que les absences répétées ou prolongées du salarié perturbent effectivement le fonctionnement de l’entreprise.

 

Cette perturbation sera bien entendu plus difficile à démontrer lorsque le salarié absent est peu qualifié et occupe un poste peu stratégique dans l’entreprise plutôt que lorsqu’il occupe un poste indispensable au fonctionnement de l’entreprise. La taille de l’entreprise et la nature de son activité sont également des critères pris en compte pour justifier la perturbation de l’entreprise.

 

Jusqu’à très récemment, la Haute Juridiction considérait que la perturbation devait concerner le fonctionnement de l’entreprise dans son ensemble et non seulement le fonctionnement du service dont faisait partie le salarié malade (Cass. soc. 1er février 2017, n°15-17101 ; Cass. soc. 2 décembre 2009, n°08-43486).

 

De même à l’égard d’une entreprise comportant plusieurs établissements, la Cour exigeait pour que le licenciement pour absence prolongée du salarié soit fondé, les perturbations devaient être démontrées au sein de l’entreprise et non uniquement de l’établissement auquel était rattaché le salarié (Cass. soc. 23 janvier 2013, n°11-28075 ; Cass. soc. 19 mai 2016, n°15-10010).

 

Très récemment, la Cour de cassation a entendu affiner et quelque peu assouplir les conditions requises pour justifier ces licenciements pour absence prolongée ou répétée en précisant le périmètre au sein duquel les perturbations doivent être constatées (Cass. soc. 23 mai 2017, n°14-11929).

 

Par cet arrêt, la Cour de cassation semble assouplir la jurisprudence antérieure lorsque le service concerné présente un caractère essentiel dans l’entreprise.

 

Tandis que la cour d’appel de Paris avait validé le licenciement en cause alors que l’employeur invoquait une perturbation du service de fidélisation et de prospection de la clientèle, la Cour de cassation a censuré l’arrêt en reprochant aux juges du fond de s’être fondés sur « une perturbation du seul service de prospection et de fidélisation de la clientèle, sans constater le caractère essentiel de ce service dans l’entreprise ».

 

Par une lecture a contrario, il est possible de déduire de cet attendu que la perturbation d’un service essentiel à l’entreprise pourrait dorénavant justifier un licenciement pour absence prolongée ou absences répétées du salarié.

 

La portée de cette décision est néanmoins à relativiser dès lors qu’elle n’a pas été publiée au Bulletin.

 

Et si la réduction du périmètre de constatation des perturbations facilitera sans nul doute le recours à ce type de licenciement pour les grandes entreprises notamment, il y a fort à parier que l’appréciation de ces perturbations par les juridictions restera toujours aussi stricte et la preuve par l’employeur toujours aussi difficile à apporter.

 

Il reste également à définir ce qu’il faut entendre par « service essentiel » de l’entreprise.

 

Cette notion recouvrira-t-elle uniquement les services de production en excluant les services support ? Quels critères seront retenus ? La rentabilité, le spectre des responsabilités, la taille du service ou son périmètre d’action ?

 

L’arrêt du 23 mai dernier ne dit rien sur ce point.

 

Il appartiendra donc aux juridictions d’apporter de nouvelles précisions sur le périmètre de constatation des perturbations légitimant le licenciement d’un salarié malade depuis longtemps.