Procédure collective et compensation légale

Par Nicolas Sidier et Pierre Détrie

La loi (article L. 622-7 I du Code de commerce) interdit au débiteur de procéder au paiement d’une dette antérieure à l’ouverture d’une procédure collective dont il fait l’objet sauf autorisation exceptionnelle du Juge commissaire ou paiement par compensation de créances connexes. Une jurisprudence abondante alimente la réflexion des juristes sur la question de la connexité des créances et dettes concernées mais cela ne doit pas faire oublier que la compensation peut revêtir deux formes : l’une dite conventionnelle qui justifie cette référence à la connexité, l’autre légale qui opère automatiquement dès lors que les créances concernées sont certaines, liquides et exigibles (article 1291 du Code civil).

 

Un arrêt de la Cour d’appel de Paris (CA Paris, 15 octobre 2015, ch. 5-9, n°15/03558) vient illustrer de façon particulièrement intéressante la position de la Cour de cassation en matière de compensation légale.

 

Dans cette espèce, une société A a fait l’objet d’une liquidation judiciaire. Dans ce cadre, son liquidateur a demandé en vain à une société B, l’un de ses associés, de verser la fraction non libérée du capital, soit la somme de 25.000 euros. B opposait pour ce faire une créance de compte courant non remboursée d’environ 55.000 euros correspondant à des prestations de services fournis à la société en liquidation et non payées.

 

En première instance, le Tribunal de commerce de Paris a condamné à la société B à payer 5.089,08 euros, estimant, après examen des comptes du débiteur, que cette somme n’avait pu être compensée avec la créance de B sur la société A au titre de son compte courant d’associé.

 

La Cour d’appel elle a considéré que la libération complète du capital ayant été appelée avant le jugement d’ouverture, la dette du capital non versé était devenue exigible à cette date.

 

La Cour a considéré que la compensation légale avait pu opérer en application des articles 1290 et 1291 du Code civil dès lors que « la créance de B envers A au titre de la libération du capital et la créance de cette dernière envers A au titre des prestations fournies et impayées étaient liquides et exigibles antérieurement à l’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire ».

 

L’intérêt de cette jurisprudence, au-delà de son caractère extrêmement pratique, porte sur la question du traitement du passif exigible mais non exigé.

 

La doctrine considère à juste titre que « le passif non exigé, bien qu’exigible, peut ne pas être pris en considération en raison de la « tolérance » manifestée par tel ou tel créancier. (…) En effet, si ceux-ci [les créanciers] ont la claire intention de procurer un certain crédit à l’entreprise, la cessation des paiements peut ne pas être constituée »[1].

 

 

En l’occurrence, il semble assez juste de retenir que la créance en compte courant de l’associé ne procédait pas d’une réelle volonté de faire crédit à la société dans la mesure où celle-ci résultait des prestations fournies à cette dernière et non payées. Sur le plan de l’équité, cela reviendrait à pénaliser l’associé qui, conscient des difficultés de trésorerie de l’entreprise, consent à ne pas formaliser une demande de paiement de ses prestations.

 

[1] Encyclopédie Dalloz – Entreprises en difficulté – Redressement judiciaire (Conditions d’ouverture) – Marie-Jeanne CAMPANA – Martine DIZEL – Laurent-Philippe BARRATIN – Reine FERNANDEZ – septembre 1996 (actualisation : juin 2015), n° 339.

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