Réflexions autour d’une réforme discrète des baux commerciaux

Par Nicolas Sidier et Aurélie Pouliguen-Mandrin

Après avoir présenté au printemps, les cinquante mesures du « plan d’action pour le commerce et les commerçants », Sylvia PINEL, Ministre de l’Artisanat du Commerce et du Tourisme, a dévoilé en Conseil des Ministres le 21 août dernier, un projet de loi relatif à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises qui intègre une nouvelle réforme des baux commerciaux. Sous couvert « de garantir l’équilibre des relations bailleurs-locataires », elle promet déjà de nouvelles sources de difficultés contractuelles.

Avant même le débat à l’Assemblée, ce projet, qui sera vraisemblablement adopté, donne lieu à de nombreux commentaires.

 

Nous vous livrons quelques réflexions autour des trois mesures principales qui ont vocation à faire évoluer significativement la matière.

 

1. La limite au déplafonnement du loyer

 

L’article 4 du projet de loi instaure en cas de déplafonnement, un mécanisme de lissage de la variation annuelle du loyer fixé à 10 % du loyer acquitté au cours de l’année précédant la date d’effet dudit déplafonnement.

 

Le projet de loi propose l’insertion d’un nouvel article L.145-39-1 ainsi rédigé :

 

« Les variations du loyer permises par les dérogations aux règles de plafonnement prévues au présent chapitre ne peuvent conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10% du loyer acquitté au cours de l’année précédente. Cette règle ne s’applique pas lorsqu’il est fait exception au règle du plafonnement par suite d’une clause du contrat relative à la durée du bail ou au mode de fixation du loyer ».

 

Cette règle a vocation à s’appliquer à l’ensemble des cas de révision et de renouvellement et jouera a priori dans les deux sens : à la hausse comme à la baisse.

 

Pour être concret, il convient de prendre un exemple chiffré :

– Dernier loyer acquitté à la date du renouvellement : 75.000 €
– Déplafonnement à la valeur locative : 110.000 €.

o Loyer payable la première année : 75.000 € + 10% = 82.500 €
o Loyer payable la deuxième année : 82.500 € + 10% = 90.750 €
o Loyer payable la troisième année : 90.750 € + 10% = 99.825 €
o Loyer payable la quatrième année : 99.825 € + 10% = 109.807,50 €
o Loyer payable la cinquième année : 110.000 €

 

Il n’est pas exclu que dans un certain nombre de cas, cette augmentation lissée ne permette pas d’atteindre la valeur locative à la date d’échéance du contrat. Si le lissage doit produire ses effets sur une durée aussi longue que celle de notre exemple, rien n’exclut non plus un contentieux en cours de lissage sur une nouvelle fixation à la valeur locative.

 

Cette mesure fait naître de nombreuses interrogations sur sa mise en œuvre :

 

– le « loyer acquitté au cours de l’année précédente » visé par le projet de loi sera-t-il le montant réglé, le montant plafonné ou le montant du loyer provisionnel éventuellement fixé par le juge ?

 

– la règle devrait s’appliquer à toutes les hypothèses légales dans lesquelles le plafonnement est exclu. Elle sera en revanche écartée « lorsqu’il est fait exception aux règles de plafonnement par suite d’une clause du contrat relative à la durée du bail ou au mode de fixation du loyer ».

 

Faut-il déduire de cette rédaction peu limpide que les baux dont la durée contractuelle est fixée à plus de 9 ans, les baux de bureaux ou les baux des locaux monovalents ne seront jamais soumis au lissage du loyer ? Quel avenir réserver aux clauses excluant le plafonnement dont la jurisprudence a reconnu la validité ?

 

2. La répartition des charges entre bailleurs et preneurs en route vers le dirigisme

 

L’article 5 du projet de loi prévoit d’instaurer au moment de la prise de possession des locaux et lors de leur restitution, l’établissement d’un état des lieux contradictoire par les parties, ainsi que l’annexion à tout contrat de location d’un inventaire précis des catégories de charges liées au bail comportant l’indication de leur répartition entre le bailleur et le locataire, lequel donnera lieu chaque année à un état récapitulatif.

 

Cette mesure est destinée selon le Gouvernement à donner à l’exploitant une plus grande visibilité sur les charges qu’il devrait payer et à faciliter la résolution des conflits, les documents remplis par les parties de manière contradictoire étant particulièrement détaillés.

 

C’est en pratique un alignement sur la règle applicable en matière de baux d’habitation qui n’a que peu de sens dans une matière où la liberté contractuelle, (encadrée certes par la jurisprudence), est la règle.

 

Ce bouleversement de la règle du jeu n’est pas de nature à assurer la sécurité juridique des contrats.

 

Le projet de loi prévoit par ailleurs l’insertion d’un article L. 145-40-2 au Code de commerce dont le deuxième alinéa disposerait

 

« Un décret en Conseil d’Etat fixe les modalités d’application du présent article. Il précise celles des charges qui, en raison de leur nature, ne peuvent être imputées au locataire. »

 

En conséquence, le bailleur ne pourrait plus mettre à la charge du locataire certaines charges, telles que la taxe foncière. Le dossier de presse établi par le Ministère de l’Artisanat du Commerce et du Tourisme, précise à cet égard que la taxe foncière est une charge qui ne saurait par nature être imputée au locataire. L’exposé présenté dans le dossier de presse se poursuit cependant en indiquant que si le locataire « choisit » de s’acquitter de cette charge en connaissance de cause, elle figurera dans l’inventaire établi à la conclusion du bail. Tout cela semble contradictoire.

 

La rédaction actuelle du projet de loi amène à s’interroger sur l’existence ou non d’une interdiction légale de mettre à la charge du locataire certaines charges… Dans l’affirmative, il est probable que les bailleurs chercheront, a minima lors de la prise à bail, à faire supporter au locataire le coût de ces charges en le répercutant sur le montant du loyer.

 

Des éclaircissements devront en toute hypothèse être apportés.

 

3. L’ILC devient obligatoire

 

L’article 2 du projet de loi consacre l’utilisation de l’indice des loyers commerciaux (ILC) et de l’indice des loyers des activités tertiaires (ILAT), et supprime la référence à l’indice du coût de la construction (ICC).

 

L’ILAT adopté par la Loi du 17 mai 2011 dite « de simplification et d’amélioration de la qualité du droit » est maintenu et continuera de s’appliquer aux locations d’espace de bureaux, aux activités des professions libérales et à celle des entrepôts logistiques.

 

La référence à l’ICC est donc supprimée et c’est selon l’activité l’ILC ou l’ILAT qui encadrerait l’évolution des loyers commerciaux en matière de renouvellement et de révision.

 

En l’état actuel de la rédaction du projet de loi, la question de l’indice applicable dans une clause d’indexation reste entière : les dispositions du Code monétaire et financier n’étant pas visées, l’on pourrait considérer que la référence à l’ICC resterait valable.

 

En toute hypothèse, le projet de loi n’exclut pas le maintien de clauses spécifiques qui font évoluer le prix du loyer par rapport au chiffre d’affaires ou au coût d’un produit ou service ayant une relation directe avec l’activité de l’une des parties (article L.1122 du Code Monétaire et Financer), dans le respect des dispositions relatives à la validité des clauses d’indexation.

 

Cette mesure a vocation à rendre plus stable les évolutions de loyers.

 

L’ICC déterminé par la variation des prix de la construction des bâtiments neufs à usage principal d’habitation serait plus volatile et ne reflèterait pas la réalité de l’immobilier commercial. L’ILC en revanche qui tient compte de l’indice des prix à la consommation et de l’évolution du chiffre d’affaires de commerce de détail, permettrait d’adapter les montants des loyers commerciaux au contexte économique.

 

Il convient de noter que le projet de loi qui devrait être examiné au Parlement au premier semestre 2014, comporte d’autres mesures telles que l’instauration d’un droit de préférence au bénéfice du locataire en cas de vente du local commercial, l’étendue du champ de compétence des commissions départementales de conciliation ou encore l’allongement de la durée du bail dérogatoire à trois ans.

 

Pour l’heure le projet consultable suivant le lien http://www.artisanat-commerce-tourisme.gouv.fr/files/expose_motifs_pjl_artisanat_commerce_tpe.pdf reste bien entendu à discuter devant le Parlement et est donc susceptible d’évolution.
A priori cependant nul doute que la réforme sera adoptée, au risque comme souvent en matière contractuelle, lorsque le législateur se « pique » de corriger ce qui lui paraît relever de l’injustice, de créer une insécurité juridique.

 

Nul doute non plus, que les bailleurs notamment institutionnels chercheront à contourner ces dispositifs, quitte à l’extrême à soumettre à leurs locataires des contrats échappant au droit des baux commerciaux.

 

Sur le plan idéologique, l’on peut également noter que la réforme est assez anachronique compte tenu du contexte baissier des valeurs locatives. Le lissage du déplafonnement conduirait notamment à leur consentir un double avantage.

 

De là à y voir une incitation à l’éviction, il n’y a qu’un pas à franchir sur l’opportunité duquel les bailleurs ne manqueront pas de s’interroger.

 

Et l’on en vient à se demander si trop de réglementation ne risque pas de tuer la réglementation. C’est ce que nous n’allons pas tarder à constater. En attendant, il va falloir faire preuve de vigilance dans la négociation des nouveaux baux au risque de subir ce qui pourrait être perçu comme un déséquilibre contractuel majeur.