Un salarié protégé ne peut pas refuser sa mise à pied disciplinaire

Par Julie De Oliveira et Sophie Elias

Le régime de protection des salariés ne doit pas aboutir à réduire à néant le pouvoir disciplinaire de l’employeur.

 

C’est de cet équilibre fragile entre une protection nécessaire et l’immunité des représentants des salariés qu’a eu à connaitre la cour d’appel de Versailles (CA Versailles, 6e chambre, 26 sept. 2017 n°16/02678).

 

Le salarié, élu délégué du personnel suppléant et membre du CHSCT, s’était vu notifier une mise à pied disciplinaire de trois jours par son employeur pour différentes fautes commises dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail.

 

Le salarié avait alors contesté cette mesure en faisant valoir, notamment, qu’étant représentant du personnel, la société ne pouvait modifier son contrat de travail sans recueillir préalablement son accord.

 

L’employeur maintenait cependant la sanction.

 

Le salarié se présentait malgré tout à son poste de travail les jours de mise à pied que la société refusait toutefois de les lui rémunérer.

 

Quelques mois plus tard, le salarié était convoqué à un nouvel entretien préalable pour des faits d’insubordination et se voyait à nouveau notifier une mise à pied disciplinaire du trois jours.

 

Le salarié contestait encore une fois cette décision et se présentait à son poste aux dates indiquées sur le courrier de sanction sans être in fine rémunéré de son travail.

 

Le salarié saisissait alors le conseil de prud’hommes de Saint-Germain-en-Laye arguant qu’une mise à pied disciplinaire entrainait une modification de son contrat travail qu’il était en droit de refuser. Par conséquent, à suivre le salarié, son employeur, face à ses refus, aurait dû renoncer aux mises à pied prononcées à son encontre. En les maintenant en dépit de ses refus, la société lui aurait causé un trouble manifestement illicite que le conseil de prud’hommes se devait de réparer.

 

Le salarié sollicitait ainsi l’annulation des deux mises à pied disciplinaires ainsi que la condamnation de la société à lui payer des rappels de salaires, les congés payés afférents, outre des dommages et intérêts pour violation de son statut protecteur.

 

Deux thèses s’opposaient en l’espèce.

 

Pour le demandeur, un salarié protégé pouvait refuser une mise à pied disciplinaire en raison de ses effets pécuniaires dans la mesure où cette sanction avait pour effet une modification temporaire du contrat de travail en ce qu’il était privé de travail et rémunération pour une durée déterminée.

 

La mise à pied pouvait dès lors être refusée par le salarié protégé, l’employeur devant alors soit y renoncer, soit engager une procédure de licenciement.

 

Pour l’employeur au contraire, une mise à pied disciplinaire ne devait être traitée comme une modification pérenne du contrat de travail pouvant être refusée par un salarié, protégé ou non, comme une rétrogradation ou une diminution de salaire.

 

La seule différence entre un salarié protégé et un salarié qui ne bénéficie pas de cette protection réside dans la possibilité pour le premier de refuser un changement de ses conditions de travail, ce que ne peut pas faire le second.

 

Selon la société, la grille d’analyse retenue par le demandeur n’était donc pas pertinente.

 

Une mise à pied prononcée à titre disciplinaire n’était ni une modification du contrat de travail ni un changement des conditions de travail mais une simple suspension du contrat de travail pendant une durée déterminée.

 

Dès lors, la mise à pied disciplinaire n’est pas subordonnée, pour sa mise en œuvre, à l’accord du salarié, protégé ou non.

 

La motivation de l’ordonnance du conseil de prud’hommes de Saint-Germain-en-Laye du 13 mai 2016 ne tranchait pas clairement la question posée, la section référé ayant seulement relevé l’existence de contestations sérieuses, renvoyant le salarié à saisir la juridiction au fond.

 

Le salarié a relevé appel de cette ordonnance.

 

La Cour d’appel de Versailles a écarté l’argumentation du représentant du personnel et a affirmé sans équivoque que la mise à pied disciplinaire n’avait pas pour effet de modifier le contrat de travail mais d’en suspendre temporairement les effets.

 

La Cour d’appel a ainsi rejoint la thèse développée par la société et a considéré qu’un salarié protégé n’avait pas la possibilité de refuser sa mise à pied disciplinaire.

 

La Cour d’appel s’est également assuré de l’absence d’impact de cette suspension du contrat de travail sur l’exercice de son mandat par le salarié et a relevé que la mise à pied d’un représentant du personnel qu’elle fût de nature conservatoire ou disciplinaire, n’avait pas pour effet de suspendre l’exécution de son mandat.

 

Cette solution doit être saluée.

 

En effet, cet arrêt du 26 septembre 2017 permet de maintenir le pouvoir de sanction de l’employeur sur le salarié protégé qui, lui, garde la possibilité de contester la mesure dont il a fait l’objet devant le conseil de prud’hommes qui ordonnera l’annulation de la sanction si elle n’est pas justifiée.

 

C’est ce qu’a relevé à juste titre la Cour d’appel de Versailles : « le salarié qui fonde sa demande d’annulation des sanctions disciplinaires, non sur le fond mais sur le caractère prétendument illicite de la mesure, sera débouté de celle-ci ».

 

Le juge refuse par-là que les deux seules options ouvertes à l’employeur souhaitant sanctionner un salarié protégé soient le licenciement, mesure qui peut s’avérer disproportionnée au regard des faits reprochés, ou l’absence de sanction conférant alors au représentant du personnel une immunité inacceptable.

 

Il reste à savoir si le salarié formera un pourvoi en cassation contre cet arrêt.