Transmission universelle du patrimoine et sort des contrats conclus intuitu personae

Par Nicolas Sidier et Pierre Détrie

Dans un arrêt du 8 novembre 2017 [1], la chambre commerciale de la Cour de cassation revient sur le régime de la transmission des contrats conclu intuitu personae dans le cadre d’une transmission universelle du patrimoine.

 

Les contrats conclus intuitu personae sont l’une des rares exceptions au principe de transmission automatique des éléments d’actifs et de passif d’une personne morale dans le cadre d’une fusion ou d’une opération ayant un effet similaire. Pour être transmis, l’accord des cocontractants est en principe requis. A défaut d’accord, ces contrats deviennent caducs concomitamment à la dissolution de la société dont le patrimoine est transmis.

 

Mais ce qui est vrai pour un cocontractant ne l’est pas forcément pour l’autre…

 

En l’espèce, une banque avait conclu un contrat de prestation de services avec une société relatif à la fourniture de prestations d’informations économiques et financières. Ces prestations étaient effectuées personnellement par le dirigeant de la société prestataire qui assurait des réunions et conférences d’information en sa qualité d’économiste particulièrement reconnu.

 

En 2010, la banque cocontractante fait l’objet d’une transmission universelle de patrimoine au profit de son associé unique. N’ayant pu obtenir le règlement de ses honoraires pour l’année 2012, le prestataire assigne l’absorbant en paiement, lequel fait valoir que compte tenu des prestations qui étaient prévues, le contrat avait « nécessairement » été conclu intuitu personae. L’absorbant en profitait donc pour opposer l’absence d’accord des parties sur la reprise du contrat en cause et demander à titre reconventionnel la restitution des honoraires versés en 2011. L’usage du terme « nécessairement » implique que le contrat ne comportait pas de clause expresse d’intuitu personae et que l’absorbant voulait lui donner ce caractère en dépit de son silence sur ce point.

 

La Cour d’appel a fait droit à cet argument en considérant que l’intuitu personae se déduisait du fait que le contrat était « conclu en considération de la personne de celui qui exécute les prestations à destination d’une clientèle spécifique ». La Cour déduisait de l’absence d’accord des parties sur sa reprise que celui-ci était devenu caduc à la date de la transmission universelle de patrimoine. Il était notamment soutenu que « la qualité de l’exécution des prestations dépendait nécessairement de celle de la personne qui les réalisait ».

 

Elle est censurée par la Cour de cassation qui précise : « qu’en statuant ainsi, alors qu’il n’avait pas été retenu que la société Delta finance avait fait de la personne de la banque d’Orsay la condition de son propre engagement et que le maintien du contrat, après la transmission universelle de son patrimoine, au profit de la société Oddo et Cie n’était pas subordonné à son consentement, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

 

Il en résulte que seule la partie qui a fait de la personne de l’autre partie une condition déterminante de son engagement peut s’en prévaloir. Autrement dit, l’absorbant aurait pu se prévaloir de la non-transmission de contrat seulement dans l’hypothèse où la société prestataire aurait fait l’objet d’une transmission universelle de patrimoine mais elle ne peut tirer argument de changements intervenus dans la banque pour s’opposer au maintien du contrat.

 

Cette formule ne fait pas les affaires de l’absorbant à double titre. D’abord, ses prétentions sont rejetées mais surtout quand bien même l’intuitu personae aurait été reconnu, eût-il fallu que celui-ci porte non pas sur la personne de l’intervenant mais sur celle de l’absorbé ce qui n’a plus rien à voir.

 

Pour en revenir aux transmissions universelles de patrimoine, le simple fait qu’un contrat comporte un intuitu personae ne signifie donc pas que sa transmission ne sera pas automatique ; faut-il encore que la clause vise clairement la personne du « tupé », ce qui est rarement le cas.

 

[1] Cass. com., 8 novembre 2017, n°16-17.296