L’extension de l’indemnisation du préjudice d’anxiété à tous les salariés exposés à l’amiante

Par Julie De Oliveira et Annie Etienne

Par un arrêt du 5 avril 2019, l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation a jugé que « le salarié qui justifie d’une exposition à l’amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur, pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité, quand bien même il n’aurait pas travaillé dans l’un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée » (Cass. Ass. plén. 5 avril 2019, n° 18-17.442).

 

Il s’agit d’un revirement de jurisprudence car la Cour, qui avait déjà eu l’occasion de statuer sur cette question, considérait jusqu’alors qu’à défaut de remplir les conditions posées par l’article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, les salariés ne pouvaient pas prétendre à l’indemnisation du préjudice d’anxiété, y compris sur le fondement d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité (Cass. soc. 21 septembre 2017, n° 16-15.130 ; Cass. soc. 26 avril 2017, n° 15-19.037).

 

L’Assemblée Plénière explique son revirement de jurisprudence par le développement de ce contentieux dont il ressort que « de nombreux salariés, qui ne remplissent pas les conditions posées par l’article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ou dont l’employeur n’est pas inscrit sur la liste fixée par arrêté ministériel ont pu être exposés à l’inhalation de poussières d’amiante dans des conditions de nature à compromettre gravement leur santé ».

 

Il convient de rappeler que cet article 41 a créé un régime particulier de préretraite permettant notamment aux salariés ou anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l’amiante figurant sur une liste établie par arrêté ministériel de percevoir, sous certaines conditions, une allocation de cessation d’activité (ACAATA), sous réserve qu’ils cessent toute activité professionnelle.

 

Par un arrêt du 11 mai 2010, la chambre sociale de la Cour de cassation a reconnu aux salariés ayant travaillé dans un établissement mentionné à l’article 41 de la loi de 1998 et figurant sur la liste établie par arrêté ministériel, le droit d’obtenir réparation d’un préjudice spécifique d’anxiété tenant à l’inquiétude permanente générée par le risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante.

 

Par cet arrêt, la Cour avait également instauré un régime de preuve dérogatoire dispensant les salariés de justifier de leur exposition à l’amiante, de la faute de l’employeur et de leur préjudice, tout en précisant que l’indemnisation accordée au titre du préjudice d’anxiété réparait l’ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d’existence (Cass. soc. 11 mai 2010, n° 09-42.241).

 

Désormais, suite à la décision du 5 avril 2019, les salariés qui ne remplissent pas les conditions posées par l’article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ou dont l’employeur n’est pas inscrit sur la liste fixée par arrêté ministériel peuvent agir contre leur employeur et demander l’allocation de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice d’anxiété.

 

Aucun aménagement de la preuve n’est prévu. Ce sont les règles de droit commun régissant l’obligation de sécurité de l’employeur qui s’appliquent. Ainsi :

 

– Le salarié devra justifier avoir été exposé personnellement et de manière significative à l’amiante, « générant un risque élevé de développer une pathologie grave ».

 

– L’employeur pourra s’exonérer de sa responsabilité en justifiant avoir pris toutes les mesures nécessaires de prévention et de sécurité prévues aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail (actions de prévention des risques professionnels, actions d’information et de formation et mise en place d’une organisation et de moyens adaptés).

 

Il reste à savoir comment la Cour de cassation évaluera le préjudice d’anxiété. Dans l’arrêt commenté, la Haute juridiction a cassé la décision de la cour d’appel qui avait considéré que ce préjudice revêtait comme tout préjudice moral un caractère intangible et personnel, voire subjectif, exigeant ainsi du salarié qu’il démontre le préjudice personnellement subi résultant du risque élevé de développer une pathologie grave.

 

Cass. Ass. plén. 5 avril 2019, n° 18-17.442