Les entreprises sont régulièrement confrontées à la contestation de licenciements pour inaptitude par des salariés qui invoquent un manquement à l’obligation de sécurité.
Dans un arrêt récent rendu le 9 avril 2025 (Cass. Soc., 9 avril 2025, n°23-22.121), la chambre sociale de la Cour de cassation donne un canevas des mesures à prendre lorsqu’un salarié dénonce des faits susceptibles de caractériser un harcèlement moral, permettant à l’employeur de justifier qu’il a satisfait à son obligation de sécurité.
Rappelons tout d’abord qu’en vertu de cette obligation de sécurité, qui découle des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail, l’employeur doit prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé tant physique que mentale de ses salariés.
Depuis un arrêt de principe du 25 novembre 2015, l’obligation de sécurité qui pèse sur l’employeur n’est plus une obligation de résultat mais une obligation de moyens renforcée (Cass. Soc., 25 novembre 2015, n°14-24.444).
L’employeur peut ainsi s’exonérer de sa responsabilité s’il justifie avoir pris toutes les mesures prescrites par la loi pour préserver la santé et la sécurité des salariés.
S’agissant plus particulièrement du harcèlement moral, la Cour de cassation a pris position en matière de prévention, notamment dans un arrêt de principe du 1er juin 2016, selon un attendu rédigé en ces termes :
« ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et qui, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser » (Cass . soc. 1er juin 2016, n°14-19.702).
Dans cette affaire, l’employeur ne justifiait pas avoir pris toutes les mesures de prévention visées aux articles précédemment évoqués et notamment avoir mis en œuvre « des actions d’information et de formation propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement moral ».
La Haute juridiction a dès lors considéré que l’employeur n’avait pas respecté l’obligation de santé et sécurité lui incombant.
L’assouplissement de l’obligation de sécurité ne dispense donc pas l’employeur de mettre en œuvre toutes les mesures nécessaires à préserver la santé et la sécurité des travailleurs, et de veiller à prévenir les risques, notamment en matière de harcèlement moral.
Dans l’arrêt commenté du 9 avril 2025, la Cour de cassation reprend l’attendu de principe selon lequel (i) l’obligation de sécurité est une obligation de moyens renforcée et (ii) l’employeur ne méconnait pas s’il justifie avoir pris toutes les mesures de prévention légales, et en fait une application à un cas de licenciement pour inaptitude (Cass. Soc., 9 avril 2025, n°23-22.121).
En l’espèce, la salariée, licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement, soutenait avoir été victime de faits de harcèlement moral. Elle contestait ainsi son licenciement qu’elle estimait consécutif au manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, faute d’avoir pris les mesures de prévention adéquates.
La cour d’appel de Bordeaux l’a déboutée de ses demandes.
La Cour de cassation a suivi la position des juges du fond et a relevé que la société avait pris de nombreuses dispositions, dès lors que :
- La Direction n’a eu connaissance du mal-être de la salariée qu’au mois de mars 2017, alors que cette dernière invoquait des difficultés rencontrées avec sa supérieure hiérarchique et une souffrance causée remontant à 2012,
- L’employeur a immédiatement mis en place un suivi de la salariée par le médecin du travail et la direction des ressources humaines et mené une enquête interne sur les faits dénoncés.
Ce n’est pas tout. Après que l’enquête a révélé un mal-être au travail, outre une ambiance pesante dans le service, le tout dû au comportement agressif de la manager, l’employeur a maintenu un dispositif spécifique d’accompagnement lors de la reprise de la salariée victime des agissements harcelants.
La salariée a ainsi bénéficié :
- d’un entretien hebdomadaire avec la direction des ressources humaines,
- d’un suivi régulier de l’évolution de sa situation,
- de la mise à disposition d’un psychologue.
La Haute juridiction a alors considéré que ces mesures étaient suffisantes et que l’employeur n’avait commis aucun manquement à son obligation de sécurité, de sorte que le licenciement pour inaptitude était valable. Les demandes de la salariée au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité ont donc être rejetées.
Cette décision donne un éclairage intéressant sur les exigences des juges en matière de respect de l’obligation de sécurité par l’employeur, en cas de dénonciation de harcèlement moral.
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A retenir :
Lorsqu’un salarié porte à la connaissance de sa hiérarchie des faits susceptibles de caractériser un harcèlement moral, l’employeur doit réagir dans les meilleurs délais afin de mettre fin à la situation dénoncée.
Il convient notamment de diligenter une enquête interne, en interrogeant le salarié qui a dénoncé des agissements prohibés, mais aussi ses collègues de travail susceptibles d’avoir été témoins et/ou eux-mêmes victimes des faits.
Le salarié doit en outre être pris en charge sur le plan médical. A cet égard, il peut lui être proposé un soutien psychologique ; le numéro d’une cellule d’écoute ou d’un organisme spécialisé peut aussi être mis à sa disposition.
Puis, selon le résultat de l’enquête, l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour faire cesser le trouble éventuellement constaté (mutation disciplinaire, sanction disciplinaire, licenciement…).
Enfin, l’accompagnement particulier du salarié victime de faits de harcèlement moral au moment de la dénonciation des faits, puis lors de la reprise du travail (s’il a été placé en arrêt de travail par exemple), permet à l’employeur de démontrer qu’il a pris toutes les mesures nécessaires dans le respect de son obligation de santé et sécurité des travailleurs.
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