La période d’astreinte peut être considérée comme du temps de travail effectif

Par Julie De Oliveira et Faustine Koppel

Cass. Soc. 14 mai 2025, F-B,  n°24-14.319

 

Le régime applicable à l’astreinte fait l’objet depuis plusieurs années de précisions jurisprudentielles.

 

Un arrêt récent de la chambre sociale de la Cour de cassation du 14 mai 2025 vient rappeler aux employeurs qu’une période d’astreinte peut être qualifiée de temps de travail effectif.

 

Pour rappel, selon l’article L.3121-9 du Code du travail, l’astreinte est définie comme une période durant laquelle un salarié, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de son employeur, doit être en mesure d’intervenir pour accomplir un travail au service de l’entreprise.

 

Par principe, lorsque le salarié est d’astreinte mais qu’il n’est pas sollicité pour intervenir, il ne réalise pas une prestation de travail et, par conséquent, cette période d’astreinte n’est pas considérée comme du temps de travail effectif. Ce n’est que si le salarié est amené à se déplacer pour une intervention que la durée de son intervention est considérée comme du temps de travail effectif.

 

Cet article est à mettre en parallèle avec l’article L. 3121-1 du Code du travail définissant le temps de travail effectif de la façon suivante :

 

« le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ».

 

Ainsi, lorsque le salarié d’astreinte n’est pas dérangé pour effectuer une prestation, la période d’astreinte n’est pas considérée comme du travail effectif dans la mesure où elle ne l’empêche pas de vaquer librement à ses occupations personnelles.

 

Dans son arrêt du 14 mai dernier, la chambre sociale de la Cour de cassation vient apporter une nuance à ce principe.

 

La situation que la juridiction devait trancher était la suivante : un salarié était soumis à quatre astreintes hebdomadaires en sa qualité d’employé d’exploitation polyvalent au sein d’un hôtel.

 

Dans ce cadre, il devait répondre aux éventuels appels des clients de l’hôtel la nuit.

 

Il saisissait la juridiction prud’homale afin, notamment, de voir requalifier son temps d’astreinte en temps de travail, et demandait à ce titre des rappels de salaire.

 

Devant la Cour d’appel de Poitiers, le salarié arguait du fait que ces heures d’astreinte constituaient du temps de travail effectif dans la mesure où il était très significativement sollicité et que, par conséquent, il ne pouvait pas vaquer à ses occupations personnelles, de crainte d’être appelé à intervenir.

 

La Cour d’appel de Poitiers déboutait le salarié de ses demandes, jugeant qu’il ne rapportait aucun élément permettant d’établir que l’intégralité de ses temps d’astreinte constituait du temps de travail effectif, notamment, en raison de l’existence d’une borne d’accès 24 heures sur 24 permettant aux clients d’entrer librement dans l’hôtel sans avoir à s’adresser au salarié d’astreinte.

 

A ce sujet, le salarié rétorquait :

 

  • que son numéro de téléphone figurait sur la borne d’accès,
  • que les lieux et le matériel de l’hôtel étaient vétustes.

 

La Cour de cassation, au visa des articles L.3121-1 et L.3121-9 du Code du travail, a cassé et annulé l’arrêt de la Cour d’appel de Poitiers.

 

La Haute juridiction se réfère à la position de la Cour de justice de l’Union européenne, laquelle juge depuis 2021 et à la lumière de la directive 2003/88 que :

 

« l’intégralité des périodes de garde, y compris celles sous régime d’astreinte, au cours desquelles les contraintes imposées au travailleur sont d’une nature telle qu’elles affectent objectivement et très significativement la faculté, pour ce dernier, de gérer librement, au cours de ces périodes, le temps pendant lequel ses services professionnels ne sont pas sollicités et de consacrer ce temps à ses propres intérêts. Inversement, lorsque les contraintes imposées au travailleur au cours d’une période de garde déterminée n’atteignent pas un tel degré d’intensité et lui permettent de gérer son temps et de se consacrer à ses propres intérêts sans contraintes majeures, seul le temps lié à la prestation de travail, qui est, le cas échéant, effectivement réalisée au cours d’une telle période constitue du ‘temps de travail’ »

 

La Cour de cassation a donc repris la jurisprudence de la CJUE en la matière (CJUE, 9 mars 2021, aff. C-344/19, D.J. c/ Radiotelevizija Slovenija et CJUE, 9 mars 2021, aff/ C-58019, Stadt Offenbach aim Main).

 

Au cas présent, la Cour de cassation reprochait à la Cour d’appel :

 

  • de ne pas avoir pris en compte le fait que le salarié intervenait régulièrement durant ses astreintes, ce qu’elle avait pourtant constaté,

 

  • de ne pas avoir vérifié si le salarié avait été soumis « au cours de ces périodes, à des contraintes d’une intensité telle qu’elles avaient affecté, objectivement et très significativement, sa faculté de gérer librement, au cours de ces périodes, le temps pendant lequel ses services professionnels n’étaient pas sollicités et de vaquer à ses occupations personnelles ».

 

L’affaire a été renvoyée sur ce point devant la Cour d’appel de Bordeaux.

 

Cette jurisprudence n’est pas nouvelle puisque la Cour de cassation a déjà tranché en ce sens au cours de ces dernières années (Cass. soc. 26 octobre 2022, n°21-14.178 et Cass. soc. 21 juin 2023, n°20-21.843).

 

Cet arrêt est un rappel pédagogique de la méthode qu’il convient d’appliquer pour retenir (ou non) la qualification de temps de travail effectif.

 

 

 

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A retenir :

 

Lorsqu’un salarié est soumis à une astreinte régulière, nous ne pouvons que recommander à l’employeur d’être vigilant sur sa mise en œuvre.

 

Notamment, il est primordial de mettre en place un cahier d’interventions répertoriant les jours d’astreinte effectués par le salarié et précisant si le salarié a été appelé à intervenir ou non.

 

Dans l’affaire précitée, l’employeur n’avait pas rempli et contrôlé les interventions de son salarié, ce qui l’a nécessairement mis en difficulté pour répondre aux arguments du salarié.

 

En outre, il est recommandé à l’employeur d’effectuer des bilans réguliers sur le fonctionnement des astreintes :

 

  • soit le bilan démontre que l’intervention du salarié est ponctuelle et dans ce cas, l’employeur pourra continuer sans risque à le solliciter sous cette forme,

 

  • soit le bilan démontre une intervention du salarié très régulière durant ses périodes d’astreinte et dans ce cas, il devra être envisagé un autre système afin d’éviter toute requalification et demande de rappel de salaires.

 

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Le Département Social du cabinet Péchenard & Associés répond à toutes vos questions sur les problématiques relatives aux astreintes, aussi bien en conseil que dans le cadre de contentieux.

 

 

Pour toute information, contactez Julie De Oliveira (deoliveira@pechenard.com).