Arrêt maladie pendant les congés : le droit au report s’impose

Par Julie De Oliveira et Alexandre Majorel

Par un arrêt du 10 septembre 2025, La chambre sociale de la Cour de cassation opère un revirement attendu : un salarié qui tombe malade pendant ses congés payés a droit au report des jours qui coïncident avec son arrêt, sous réserve d’avoir notifié l’arrêt à l’employeur (Cass, Soc.10 septembre 2025, n° 23-22.732).

 

Cet arrêt, publié au Bulletin, aligne le droit français sur la jurisprudence de l’Union européenne.

 

L’affaire naît d’un litige opposant une médecin du travail à son employeur. Au cours de plusieurs périodes de congés, la salariée est placée en arrêt de travail et transmet les justificatifs à l’employeur. Elle demande ensuite le report des journées de congés « perdues ». La Cour d’appel accueille la demande. L’employeur se pourvoit.

 

La Cour de cassation confirme alors le principe suivant : « le salarié en situation d’arrêt de travail pour cause de maladie survenue durant la période de congé annuel payé a le droit de bénéficier ultérieurement des jours de congé payé coïncidant avec la période d’arrêt de travail pour maladie. (…) la salariée, qui avait fait l’objet, durant ses périodes de congés payés, d’arrêts de travail pour cause de maladie notifiés à l’employeur, pouvait prétendre au report des jours de congé correspondants, qui ne pouvaient pas être imputés sur son solde de congés payés. »

 

Historiquement, depuis un arrêt du 4 décembre 1996, la Cour de cassation refusait le report lorsque la maladie survenait pendant les congés : l’employeur était tenu pour « quitte » dès lors qu’il avait laissé le salarié partir en congé. Cette jurisprudence a longtemps différé du droit de l’Union (Cass, Soc. 4 décembre 1996, n° 93-44.907).

 

Entre 2009 et 2012, La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a consacré un droit effectif au repos annuel, considérant que la finalité des congés (repos/loisirs) différait de celle de la maladie (rétablissement).

 

Dès lors, pour la CJUE, le moment d’apparition de la maladie est indifférent ; si elle survient pendant les congés, les jours doivent être reportés (arrêts « Schultz-Hoff » du 20 janvier 2009, C-350/06 & C-520/06 ; « Pereda », 10 septembre 2009, C-277/08 ; « ANGED » 21 juin 2012, C-78/11).

 

En 2024, la loi n° 2024-364 (dite « DDADUE ») a réformé l’acquisition de congés pendant la maladie et organisé un report légal de 15 mois des congés acquis du fait d’un arrêt (article L.3141-19-1 et suivants du Code du travail).

 

Le 18 juin 2025, la Commission européenne a, de surcroît, adressé à la France une mise en demeure pour non-conformité au droit de l’UE s’agissant précisément du report en cas de maladie survenant pendant les congés.

 

L’arrêt du 10 septembre 2025 parachève donc l’alignement.

 

La Chambre sociale procède ainsi à une interprétation conforme de l’article L.3141-3 du Code du travail à la lumière de l’article 7 §1 de la directive 2003/88/CE :

  • Finalités distinctes (repos/rétablissement) ;
  • Indifférence du moment d’apparition de la maladie ;
  • Droit au report des jours coïncidant.

 

Elle assume explicitement le revirement de la solution de 1996, en s’appuyant sur les arrêts Schultz-Hoff, Pereda et ANGED.

 

La Cour souligne, dans le cas d’espèce, que les arrêts ont été notifiés à l’employeur. C’est sur cette base qu’elle valide le report. D’ailleurs, la règle est ainsi résumée dans le communiqué de la Cour de cassation : « dès lors qu’un salarié placé en arrêt maladie pendant ses congés payés a notifié à son employeur cet arrêt, il a le droit de les voir reportés ».

 

L’arrêt du 10 septembre 2025 vise le cas spécifique de la maladie qui survient pendant les congés et consacre le report des jours coïncidant mais sans fixer de délai de report précis ni indiquer le point de départ de celui-ci.

 

Les articles L.3141-19-1 et suivants du Code du travail régissent, eux, les congés non pris parce que l’arrêt a empêché leur prise pendant la période normale. Afin de ne pas compliquer la procédure interne, la doctrine s’accorde à retenir le délai de 15 mois prévu à l’article L.3141-19-1 précité avec pour point de départ la notification par l’employeur au salarié de l’écrit l’informant du droit au report.

 

Quelles sont alors les conséquences pratiques pour les entreprises ?

 

Il est notamment recommandé aux employeurs de :

 

* Prendre acte de l’évolution réglementaire : en effet, depuis un décret du 28 juin 2025, les arrêts papiers non dématérialisés doivent être délivrés sur le support sécurisé homologué, qui est communiqué par la CPAM aux médecins puis remis au patient pour éviter les fraudes  ;

 

* Ne plus imputer sur le compteur « congés payés » les jours couverts par l’arrêt intervenu pendant les congés. Il conviendra de recréditer ces jours et éventuellement de replanifier leur prise avec le salarié ;

 

Compte tenu de l’effet rétroactif, dit « dispositif » de la jurisprudence, il est possible que des salariés cherchent à obtenir le report de congés payés comptabilisés alors qu’ils ont été placés en arrêt maladie de manière concomitante et en ont avisé leur employeur, sur une période antérieure à la décision du 11 septembre 2025. La question de la prescription se pose alors.

 

À la lumière des articles L.1471-1 et L.3245-1 du Code du travail, il apparait que le salarié en poste pourra remonter 2 ans avant la date de l’arrêt de la Cour de cassation (date à laquelle le salarié aurait dû avoir valablement connaissance de son droit au report) pour obtenir de son employeur l’ajout dans son compteur des congés à reporter (amiablement ou par voie judiciaire). Le salarié parti des effectifs pourra lui remonter sur 3 ans suivant le même point de départ pour solliciter auprès de son ancien employeur le paiement du rappel de salaire correspondant aux congés payés indûment perdus car non reportés.

 

Si la reprogrammation est impossible avant la rupture, le cas échéant, il conviendra d’inclure les jours reportés non pris dans le calcul de l’indemnité compensatrice de congés payés ;

 

* Prévoir un courrier type à envoyer, à réception de l’information par le salarié de son placement en arrêt de travail, par recommandé AR (doublé d’un mail si le salarié en dispose d’un). L’employeur devra en substance demander au salarié de lui communiquer copie de l’arrêt de travail (si ce n’est pas déjà fait), lui rappeler le cas échéant que les seuls arrêts sur support sécurisé homologué sont recevables s’ils sont sous format dématérialisé et lui notifier qu’il disposera d’un délai de 15 mois à compter de la date de réception de ce courrier d’information pour poser les congés payés reportés.

 

Enfin, il est notable que si le report des congés payés est conditionné à la notification par le salarié de son arrêt à l’employeur, la jurisprudence n’impose pas pour autant à ce dernier un devoir de rappel général écrit de cette condition auprès du salarié.

 

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L’arrêt du 10 septembre 2025 commenté marque ainsi une clarification majeure : un salarié malade pendant ses congés n’« épuise » plus ses droits. Il récupère ses journées, à condition d’avoir notifié son arrêt à l’employeur.

 

Pour les entreprises, l’enjeu est opérationnel — adapter les procédures, outiller le SIRH, former les managers — et juridique, en articulant cette règle avec le report de 15 mois issu de la loi 2024.

 

À court terme, une politique interne claire, des preuves conservées et une information systématique des salariés sécuriseront la pratique.

 

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Le Département Social du cabinet Péchenard & Associés répond à toutes vos questions sur l’acquisition et le report des congés payés ; il se tient à votre disposition pour échanger sur ces problématiques, tant au titre de son activité de conseil que dans le cadre de contentieux en cours ou à venir.

 

 

 

Pour toute information, contactez Julie De Oliveira (deoliveira@pechenard.com)