Condamnation de la France pour violation de la liberté d’expression : le documentaire de France 3 sur le 11 septembre respectait « les normes d’un journalisme responsable »

Par Eric Andrieu et Caroline Mas

A l’occasion du 5ème anniversaire des attentats du 11 septembre, France 3 diffusait un documentaire intitulé « 11 septembre 2001 : le dossier d’accusation » retraçant l’enquête ayant abouti à la plainte de milliers de victimes contre plus d’une centaine de personnes soupçonnées d’avoir aidé et financé Al-Qaïda.

 

 

A la suite d’une plainte du Prince Turki Al Faisal, ancien directeur général des renseignements d’Arabie Saoudite et ambassadeur d’Arabie Saoudite aux Etats-Unis, le Tribunal de grande instance de Paris condamnait Patrick de Carolis, directeur de publication, la journaliste et France 3 pour diffamation.

 

Il estimait que si le caractère sérieux du reportage dans son ensemble n’était pas douteux, ni l’importance du sujet traité ni la position élevée du Prince ou encore la volonté de dénoncer d’éventuelles considérations diplomatiques susceptibles de contrarier l’idée de justice ne pouvaient dispenser la journaliste du devoir élémentaire de prudence et d’objectivité qui doit nécessairement s’attacher à la relation d’accusations, lorsque celles-ci n’ont pas encore été examinées par un tribunal.

 

La Cour d’appel de Paris confirmait cette décision estimant que la journaliste aurait dû faire preuve d’une particulière prudence et d’une réelle objectivité puisqu’elle relatait des accusations extrêmement graves qui n’avaient pas encore été examinées par un tribunal.

 

Le pourvoi était rejeté par la Cour de Cassation.

 

Le 6 mai 2010, Patrick de Carolis et France 3 saisissaient la Cour européenne des droits de l’Homme d’une requête en violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme.

 

Dans un arrêt du 21 janvier 2016, la Cour estime à l’unanimité que la condamnation des requérants a violé la liberté d’expression.

 

Elle retient ainsi que :

 

– la marge d’appréciation de l’État dans la restriction du droit à la liberté d’expression se trouvait en l’espèce particulièrement réduite dans la mesure où les faits portaient sur un sujet d’intérêt général et où les limites de la critique admissible à l’égard de personnages publics, comme l’était le Prince Turki Al Faisal, dans l’exercice de leurs fonctions officielles sont plus larges que pour les simples particuliers,

 

– la base factuelle sur laquelle reposaient les propos poursuivis était suffisante,

 

– la manière dont le sujet avait été traité n’était pas contraire aux normes d’un journalisme responsable compte tenu notamment des termes utilisés (emploi du conditionnel, distanciation…) et du respect du contradictoire, le Prince Turki Al Faisal ayant été interrogé à plusieurs reprises.

 

La Cour considère également que la condamnation de Patrick de Carolis à une amende pénale, outre des dommages et intérêts et la diffusion d’un communiqué judiciaire sur France 3, étaient disproportionnés dans les circonstances de l’espèce.

 

Cette décision a été obtenue par le cabinet Piwnica & Molinié et par notre cabinet.