Coronavirus et droit des sociétés – Ordonnances du 25 mars 2020

Par Nicolas Sidier et Pierre Détrie

Le gouvernement a adopté le 25 mars 2020 plusieurs ordonnances concernant les sociétés dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Trois d’entre elles prévoient des mesures relatives   (i) à l’établissement et l’approbation des comptes et documents sociaux, (ii) à la tenue des assemblées générales et des réunions d’organes dirigeants et (iii) à la création d’un fonds de solidarité pour entreprises les plus touchées.

 

  1. Ordonnance n°2020-318 (Comptes et documents sociaux)
  • Approbation des comptes :

 

Le délai pour convoquer l’assemblée générale devant approuver les comptes annuels est prorogé de trois mois. Cette prorogation s’applique aux sociétés clôturant leurs comptes entre le 30 septembre 2019 et l’expiration d’un délai d’un mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire. En revanche, elle ne s’applique pas aux sociétés dotées d’un commissaire aux comptes lorsque celui-ci a émis son rapport avant le 12 mars 2020.

 

Ces dispositions concernent toutes les personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé devant établir des comptes annuels.

 

  • Particularité dans les sociétés anonymes à directoire :

 

Le délai imparti au directoire pour arrêter les comptes annuels et les communiquer au conseil de surveillance (normalement de trois mois à compter de la clôture de l’exercice) est prorogé de trois mois. Cette disposition n’est pas applicable aux sociétés dotées d’un commissaire aux comptes lorsque celui-ci a émis son rapport avant le 12 mars 2020.

 

Elles s’appliquent aux sociétés clôturant leurs comptes entre le 31 décembre 2019 et l’expiration d’un délai d’un mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.

 

  • Particularité dans les sociétés en liquidation :

 

Le délai imparti au liquidateur pour établir les comptes annuels et le rapport sur les opérations de liquidation intervenues au cours de l’exercice est écoulé est prorogé de deux mois. Ce délai est normalement de trois mois à compter de la date de clôture de l’exercice.

 

Ces dispositions s’appliquent aux mêmes sociétés que celles visées ci-dessus.

 

  • Documents prévisionnels :

 

Les entreprises de plus de 300 salariés ou dont le CA supérieur ou égal à 18M€ doivent établir les documents prévisionnels prévus par l’article L. 232-2 du Code de commerce (situation de l’actif réalisable et disponible et du passif exigible, compte de résultat prévisionnel, tableau et plan de financement prévisionnel). Ces documents sont établis par le conseil d’administration, le directoire ou le gérant.

 

Ces documents sont établis dans les 4 mois à compter de l’ouverture de l’exercice puis mis à jour dans un délai de 4 mois à compter de la clôture du premier semestre.

 

L’ordonnance proroge ces délais de deux mois. Ces dispositions s’appliquent aux documents relatifs aux comptes ou aux semestres clôturés entre le 30 novembre 2019 et l’expiration d’un délai d’un mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.

 

  • Organismes de droit privé bénéficiaires d’une subvention publique :

 

Les organismes de droit privé qui bénéficient d’une subvention publique qu’ils affectent à une dépense particulière doivent produire et déposer un compte rendu financier à l’autorité administrative ou à l’organisme chargé de la gestion d’un service public industriel et commercial dans les 6 mois suivant la fin de l’exercice pour lequel elle a été attribuée.

 

Ce délai est prorogé de 3 mois. Sont concernés les comptes rendus financiers relatifs aux comptes clôturés entre le 30 septembre 2019 et l’expiration d’un délai d’un mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.

 

  1. Ordonnance n°2020-321 (règles de réunion et de délibération des assemblées et organes dirigeants)

 

Les dispositions de cette ordonnance concernent toutes les sociétés et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé, à savoir :

 

 

1° Les sociétés civiles et commerciales ;
2° Les masses de porteurs de valeurs mobilières ou de titres financiers ;
3° Les groupements d’intérêt économique et les groupements européens d’intérêt économique ;
4° Les coopératives ;
5° Les mutuelles, unions de mutuelles et fédérations de mutuelles ;
6° Les sociétés d’assurance mutuelle et sociétés de groupe d’assurance mutuelle ;
7° Les instituts de prévoyance et sociétés de groupe assurantiel de protection sociale ;
8° Les caisses de crédit municipal et caisses de crédit agricole mutuel ;
9° Les fonds de dotation ;
10° Les associations et les fondations.

 

  • Convocation par voie postale aux assemblées de sociétés cotées :

 

Lorsqu’une société cotée est tenue de procéder à la convocation d’une assemblée par voie postale, aucune nullité de l’assemblée n’est encourue du seul fait qu’une convocation n’a pas pu être réalisée par voie postale en raison de circonstances extérieures à la société.

 

  • Communication électronique :

 

Lorsqu’une société ou entité visée ci-dessus est tenue de communiquer un document ou une information à un membre d’une assemblée préalablement à la tenue de celle-ci, cette communication peut valablement être effectuée par voie électronique sous réserve que le membre indique dans sa demande l’adresse électronique à laquelle elle peut être faite.

 

  • Adaptation des règles de participation et de délibération :

 

Lorsqu’une assemblée est convoquée en un lieu affecté par une mesure administrative limitant les rassemblements collectifs, l’article 4 prévoit que l’organe compétent pour la convoquer peut décider qu’elle se tient sans que les membres et les autres personnes ayant droit d’y assister ne soient présents physiquement ou par conférence téléphonique ou audiovisuelle.

 

L’article 5 assouplit les règles relatives à la réunion des assemblées par conférence téléphonique ou audiovisuelle en l’étendant aux groupements pour lesquels ce mode alternatif n’est pas déjà prévu par la loi et, pour ceux pour lesquels la loi prévoit ce mode alternatif sous réserve de certaines conditions, en neutralisant lesdites conditions.

 

La décision de recourir aux moyens de visio-conférence incombe à l’organe compétent pour convoquer l’assemblée. Ces moyens doivent permettre au moins la transmission de la voix des participants et une retransmission continue et simultanée des délibérations.

 

Enfin, ces dispositions sont applicables quel que soit l’objet de la décision sur laquelle l’assemblée est appelée à statuer.

 

Le recours à la consultation écrite est également facilité quel que soit l’objet de la décision. Lorsque ce mode de participation est déjà prévu par la loi, l’organe qui convoque l’assemblée peut décider d’y recourir sans qu’une clause des statuts ou du contrat d’émission ne soit nécessaire à cet effet ni ne puisse s’y opposer.

 

L’article 7 allège les formalités de convocation et prévoit des aménagements pour les groupements qui auraient commencé à procéder à des formalités de convocation avant la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance.

 

Dans un tel cas, si l’organe compétent décide de faire application des articles précités (4 à 6), les membres de l’assemblée en sont informés par tous moyens permettant d’assurer leur information effective 3 jours ouvrés au moins avant la date de l’assemblée, sans préjudice des formalités qui restent à établir à la date de cette décision. La modification du lieu de l’assemblée ou des modes de participation ne donne pas lieu au renouvellement des formalités de convocation et ne constitue pas une irrégularité de convocation.

 

Pour les sociétés cotées, les actionnaires en sont informés dès que possible par voie de communiqué dont la diffusion effective et intégrale est effectuée par la société.

 

Enfin, l’article 8 encourage le recours à la visio-conférence pour les réunions des organes collégiaux d’administration, de surveillance et de direction sans qu’une clause des statuts ou du règlement intérieur ne soit nécessaire ni ne puisse s’y opposer. Les moyens techniques doivent permettre la transmission de la voix au moins des participants et une retransmission continue et simultanée des délibérations. Ils doivent également permettre l’identification des membres et leur participation effective.

 

De même et sans qu’une clause des statuts ou du règlement intérieur soit nécessaire ou puisse s’y opposer, les décisions des organes collégiaux d’administration, de surveillance et de direction, quel que soit leur objet, pourront être prises par consultation écrite de leurs membres dans des conditions assurant la collégialité de la délibération.

 

 

  • Dispositions finales :

 

En tant que de besoin, un décret viendra préciser les conditions d’application de cette ordonnance, qui est entrée en vigueur rétroactivement le 12 mars 2020. Elle s’applique aux réunions d’organes collégiaux d’administration, de surveillance et de direction devant se tenir avant le 31 juillet 2020, sauf cas de dérogation, d’ores et déjà prévue, par un décret à prendre et de prorogation de cette date au 30 novembre 2020.

 

  1. Ordonnance n°2020-317 (Création d’un fonds de solidarité)

 

Cette ordonnance institue pour une durée de 3 mois un fonds de solidarité ayant pour objet le versement d’aides financières aux personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation du convid-19 et des mesures prises pour en limiter la propagation.

 

Sa durée d’intervention pourra être prolongée par décret pour 3 mois au plus.

 

Le fonds de l’état est financé par l’Etat et peut également l’être, sur une base volontaire, par les collectivités territoriales (ou tout établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre). Dans ce cas, le montant et les modalités de cette contribution seront définis dans le cadre d’une convention conclue entre l’Etat et chaque collectivité territoriale.

 

Un décret fixera le champ d’application du dispositif, les conditions d’éligibilité et d’attribution des aides, leur montant ainsi que les conditions de fonctionnement et de gestion du fonds.