De l’efficacité du privilège de prêteur de deniers

Par Nicolas Sidier et Adèle Orzoni

Dans un arrêt prononcé le 9 janvier 2019 (n°17-27411) destiné à une large publication, la Cour de cassation a consacré la supériorité de la portée et l’efficacité du privilège de prêteur de deniers par rapport aux autres types de garanties à commencer par l’hypothèque.

 

Cet arrêt est intéressant à double titre :

 

– D’abord, sur l’assiette du privilège de prêteur de deniers et son formalisme,

 

– Ensuite sur la responsabilité du notaire.

 

En l’espèce, deux personnes physiques avaient acquis par acte notarié la nue-propriété en indivision d’un ensemble immobilier, et l’usufruit en tontine. L’un des deux acquéreurs avait financé l’acquisition grâce à un emprunt bancaire garanti par un privilège de prêteur de deniers. Le notaire n’avait inscrit le privilège que sur la quote part indivise du coïndivisaire emprunteur, et non sur l’immeuble entier, contrairement à ce qui résultait de l’acte.

 

Ce dernier est placé en liquidation judiciaire ; la banque a assigné les indivisaires en partage de l’indivision, et le notaire en responsabilité et indemnisation.

 

1- La Cour de cassation affirme premièrement que « l‘assiette du privilège de prêteur de deniers est constituée par la totalité de l’immeuble » et ce « même s’il était né du chef d’un seul acquéreur ».

 

Elle rappelle ensuite que le privilège de prêteur de deniers prend rang à la date de la naissance de la créance et non (tel que cela est le cas en matière d’hypothèque) à la date de son inscription.

 

Cette sûreté revêt dès lors un intérêt particulier pour le prêteur qui sera considéré comme un créancier antérieur de l’indivision. Il pourra en conséquence se prévaloir des dispositions prévues à l’article 815-17 alinéa 1er du code civil, et solliciter la vente forcée du bien indivis sans procéder au partage préalable de l’indivision.

 

Pour mémoire, l’article 815-17 du code civil dispose que :

 

« Les créanciers qui auraient pu agir sur les biens indivis avant qu’il y eût indivision, et ceux dont la créance résulte de la conservation ou de la gestion des biens indivis, seront payés par prélèvement sur l’actif avant le partage. Ils peuvent en outre poursuivre la saisie et la vente des biens indivis.

 

Les créanciers personnels d’un indivisaire ne peuvent saisir sa part dans les biens indivis, meubles ou immeubles.

 

Ils ont toutefois la faculté de provoquer le partage au nom de leur débiteur ou d’intervenir dans le partage provoqué par lui. Les coïndivisaires peuvent arrêter le cours de l’action en partage en acquittant l’obligation au nom et en l’acquit du débiteur. Ceux qui exerceront cette faculté se rembourseront par prélèvement sur les biens indivis ».

 

Cette règle n’est pas nouvelle (Civ 16 mai 2013 n°12-16216) mais est ici exposée de façon particulièrement claire par la Cour de cassation.

 

Il s’agit en outre de la consécration jurisprudentielle de la théorie dite de « l’indivisibilité du privilège de prêteur de deniers », bien connue de la pratique notariale, qui n’avait cependant jamais été énoncée si clairement par la Haute Juridiction.

 

2- Sur la faute du notaire, la Cour de cassation rappelle le principe, au visa des articles 1382 ancien (1240 nouveau), 815-17, 2377 et 2379 du code civil selon lequel « le notaire, tenu d’assurer l’efficacité des actes auxquels il prête son concours ou qu’il a reçu mandat d’accomplir, doit, sauf s’il en est dispensé expressément par les parties, veiller à l’accomplissement des formalités nécessaires à la mise en place des sûretés qui en garantissent l’exécution » et censure la cour d’appel avait considéré que l’inscription était « sans incidence sur les droits que la banque tient du titre ».

 

La Cour de cassation indique en effet que « du fait de l’inscription du privilège de prêteur de deniers sur la seule part de M. Y…, la banque avait, à l’égard des tiers, la qualité de créancier personnel du coïndivisaire emprunteur, de sorte qu’elle ne pouvait exercer son droit de poursuite sur l’immeuble indivis, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

 

Par conséquent, il convient de retenir que si le privilège de prêteur de deniers grève, selon les termes employés par la Haute Juridiction, de « plein droit la totalité de l’immeuble acquis, même s’il est né du chef d’un seul acquéreur », l’erreur d’inscription commise par le notaire a eu pour conséquence de le priver de son efficacité, justifiant la mise en cause de sa responsabilité.

 

La Banque devenait en effet « à l’égard des tiers », du fait de l’inscription sur la part d’un indivisaire, créancier personnel de ce dernier, et soumise en conséquence de plein droit aux dispositions prévues à l’article 815-17 alinéa 2 du Code civil. Elle était ainsi seulement autorisée à provoquer le partage de l’indivision au nom de son débiteur.