De l’intérêt de distinguer la rétention de la chose de la possession du bien…

Par Nicolas Sidier et Pierre Détrie

Un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 30 janvier 2019 (n°17-22223) vient de contribuer à définir les contours du droit de rétention et, partant, à en consacrer son efficacité malgré des difficultés liées aux procédures collectives que l’on pourrait, dans ce contexte, qualifier d’hostiles !

 

Dans cette affaire, un couple avait acquis une maison d’habitation pour y loger leur fille. La vente de la maison était ensuite annulée pour dol par un jugement qui ordonnait la restitution du prix de vente aux acquéreurs et condamnait la société venderesse à leur régler la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts.

 

La société condamnée ayant été placée en liquidation judiciaire, le couple déclarait sa créance à la procédure. N’ayant vocation qu’à une éventuelle distribution en cas de réalisation de l’actif – et encore à titre chirographaire – le risque pour eux était non seulement de perdre leur créance de restitution du prix de vente et de dommages-intérêts mais aussi le bien dans lequel leur fille était logée. Admirablement conseillée ou simplement mue par cette esprit de résistance qui nous caractérise dès que nous sommes confrontés à l’injustice, la fille se maintenait dans les lieux en faisant valoir son droit de rétention.

 

Par la suite, le liquidateur assignait le couple et leur fille pour voir juger qu’ils n’avaient pas de droit de rétention, que leur fille était occupante sans droit ni titre et voir ordonner son expulsion. Les premiers juges faisaient droit à cette demande mais furent désavoués par la Cour d’appel qui considéra que la fille du couple pouvait opposer au liquidateur le droit de rétention de ses parents en vertu de l’article 2286 du Code civil.

 

Cet article dispose :

 

« Peut se prévaloir d’un droit de rétention sur la chose :

 

Celui à qui la chose a été remise jusqu’au paiement de sa créance ;

 

Celui dont la créance impayée résulte du contrat qui l’oblige à la livrer ;

 

Celui dont la créance impayée est née à l’occasion de la détention de la chose ;

 

Celui qui bénéficie d’un gage sans dépossession.

 

Le droit de rétention se perd par le dessaisissement volontaire. »

 

Le pourvoi du liquidateur contre l’arrêt d’appel posait deux questions :

 

– l’occupation de l’immeuble par leur fille peut-elle être assimilée à un dessaisissement volontaire faisant perdre le droit de rétention des parents/créanciers ?

 

– le droit de rétention peut-il constituer un obstacle à la vente de la chose sur laquelle il porte ?

 

A la première question, la Cour de cassation répond par la négative. La Cour d’appel a relevé que les parents détenaient les clés de l’immeuble qu’ils assuraient eux-mêmes, s’y rendaient fréquemment et qu’aux termes d’un acte notarié, ceux-ci avaient confié à leur fille un mandat d’occupation de l’immeuble. Elle en déduit que cette dernière occupe l’immeuble « du chef et pour le compte de ses parents », « légitimes rétenteurs du bien ». Elle est approuvée par la Cour de cassation. En d’autres termes, cela revient à affirmer que le droit de rétention peut être opposé par une autre personne que le créancier et qu’il ne faut pas déduire d’un transfert de possession l’existence d’un dessaisissement.

 

S’agissant de la deuxième question, la Cour de cassation a retenu simplement que le droit de rétention se reportait « de plein droit sur le prix  » ce qui contribue à en renforcer l’efficacité au point que :

 

– le liquidateur est considéré comme en mesure de vendre la chose, sous réserve de l’autorisation du juge commissaire ;

– le prix de vente viendra en priorité désintéresser les créanciers rétenteurs et fera ensuite l’objet d’une distribution entre les créanciers de rang inférieur