Dénonciation de harcèlements au travail et diffamation : une immunité encadrée

Par Caroline Mas et Julie De Oliveira

Par arrêt du 26 novembre 2019 (n° de pourvoi : 19-80360), la Cour de cassation a précisé le cadre dans lequel un salarié peut dénoncer des faits de harcèlement sans prendre le risque d’une condamnation pour diffamation.

 

Dans cette affaire, une salariée se plaignant de faits d’agression sexuelle et de harcèlement moral et sexuel, avait adressé un courrier électronique au directeur général de l’association qui l’employait, à l’inspection du travail, mais également à son époux, au directeur spirituel de l’association et d’un établissement d’enseignement supérieur, à la personne à qui les faits étaient reprochés et à l’un de ses fils.

 

La personne mise en cause avait poursuivi la salariée en diffamation et celle-ci avait été condamnée tant en première instance qu’en appel, avant que la Cour de cassation rejette le pourvoi.

 

1- La diffamation est définie comme : « Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé » (Article 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881).

 

Imputer à quelqu’un des faits d’agression sexuelle ou de harcèlement porte atteinte à son honneur et à sa considération et peut donc constituer une diffamation.

 

Traditionnellement, une personne poursuivie pour diffamation peut s’exonérer de sa responsabilité en établissant :

 

– la vérité des faits argués de diffamation,

 

Cette démonstration nécessite le respect d’une procédure spécifique et contraignante enserrée dans des délais très brefs (Articles 35 et 55 de la loi du 29 juillet 1881).

 

– sa bonne foi,

 

La mauvaise foi est en effet présumée en matière de diffamation et il appartient à la personne poursuivie d’établir sa bonne foi en démontrant, suivant les critères traditionnellement retenus par la jurisprudence française, l’intérêt légitime du sujet évoqué, l’existence d’une enquête sérieuse, la prudence dans l’expression et l’absence d’animosité personnelle, ou de plus en plus, sous l’impulsion de la Cour européenne des droits de l’homme, en établissant la preuve de l’intérêt général du sujet et l’existence d’une base factuelle suffisante.

 

Ces critères sont appréciés plus souplement si la personne poursuivie n’a pas pour profession d’informer et si elle est elle-même impliquée dans les faits qu’elle dénonce.

 

En l’espèce, la Cour de cassation, approuvant l’analyse de la Cour d’appel qui avait estimé que « rien ne permet de prouver l’existence de l’agression sexuelle, que celle-ci date de l’année 2015 et pour laquelle elle n’a pas déposé plainte et ne peut produire ni certificat médical ni attestations de personnes qui auraient pu avoir connaissance, si ce n’est des faits, au moins du désarroi de la victime », retient que la salariée ne pouvait bénéficier de la bonne foi, les propos litigieux ne reposant pas sur une base factuelle suffisante.

 

2- L’intérêt principal de l’arrêt se trouve cependant en amont de l’analyse d’une éventuelle bonne foi, dans l’existence d’un fait justificatif général entraînant l’irresponsabilité pénale de l’auteur de l’infraction.

 

La question était de savoir si, quand bien même le délit de diffamation était constitué en son principe, il ne pouvait pas être justifié.

 

Les articles 122-1 et suivants du code pénal définissent en effet un certain nombre de causes d’irresponsabilité ou d’atténuation de la responsabilité pénale (trouble psychique, contrainte, ordre, autorisation de la loi…).

 

Ces faits justificatifs sont assez rarement évoqués en matière de diffamation.

 

En l’espèce, le pourvoi invoquait l’autorisation de la loi prévue par l’article 122-4 du code pénal qui dispose que : « N’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires ».

 

Il est vrai que les articles L. 1153-1, L. 1153-2 et L. 1153-3 du code du travail posent comme principe l’interdiction du harcèlement sexuel et l’interdiction de sanctionner ou licencié un salarié pour avoir subi, refuser de subir ou relaté des faits de harcèlement.

 

L’article L. 4131-1 du code du travail définit quant à lui le droit d’alerte et de retrait du salarié en cas de danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé.

 

Dans l’arrêt rendu le 26 novembre 2019, la Cour de cassation reconnaît expressément l’existence d’une irresponsabilité pénale de la personne poursuivie du chef de diffamation pour avoir révélé des faits de harcèlement sexuel ou moral dont elle s’estime victime en application et dans les conditions de ces textes.

 

Elle l’avait d’ailleurs déjà fait dans un arrêt du 28 septembre 2016 (n° de pourvoi 15-21.823) qui avait estimé que « les salariés sont autorisés par la loi à dénoncer, auprès de leur employeur et des organes chargés de veiller à l’application des dispositions du code du travail, les agissements répétés de harcèlement moral dont ils estiment être victimes ».

 

Elle l’avait également admis, à l’opposé, pour un employeur poursuivi pour diffamation non publique pour les termes d’une lettre de licenciement imputant au salarié licencié des faits de harcèlement sexuel, retenant que « l’article L. 122-14-2 du Code du travail fait obligation à l’employeur d’énoncer le ou les motifs du licenciement dans la lettre prévue à l’article L. 122-14-1 dudit Code ; que les juges ajoutent que les imputations incriminées « constituent les motifs du licenciement décidé par l’employeur sans que soient développés d’autres griefs ou des circonstances superflues » ; qu’ils en déduisent que le prévenu se prévaut à bon droit du fait justificatif prévu par l’article 122-4 du Code pénal » (cass. Crim. 12 octobre 2004 n° de pourvoi: 03-86262).

 

Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation pose cependant une limite à cette immunité puisqu’elle précise « Toutefois, pour bénéficier de cette cause d’irresponsabilité pénale, la personne poursuivie de ce chef doit avoir réservé la relation de tels agissements à son employeur ou à des organes chargés de veiller à l’application des dispositions du code du travail ».

 

Une telle limitation figurait déjà dans l’arrêt du 28 septembre 2016, qui prévoyait que la relation de tels agissements « auprès des personnes précitées« , c’est-à-dire de leur employeur et des organes chargés de veiller à l’application des dispositions du code du travail, « ne peut être poursuivie pour diffamation ».

 

Une certaine incertitude demeure cependant quant à l’identification des organes chargés de l’application des textes susvisés faute de définition légale.

 

Il semble possible de considérer qu’il peut s’agir de la direction de l’entreprise, des membres du service des ressources humaines ou du service juridique s’ils disposent d’une délégation de pouvoirs suffisante ou sont assimilables à l’employeur du fait de leur niveau de responsabilités, des institutions représentatives du personnel, de l’Inspection du travail et du référent harcèlement.

 

Autrement dit, l’immunité envisagée ne peut jouer que dans un cadre restreint, ce qui excluait en l’espèce notamment la communication au fils de la personne visée et ce qui exclut plus généralement une diffusion auprès d’autres salariés de l’entreprise ou sur les réseaux sociaux par exemple.

 

Cette jurisprudence se distingue de celle rendue en matière de droit du travail, le salarié dénonçant des faits de harcèlement bénéficiant d’une immunité disciplinaire, que les faits allégués soient finalement caractérisés ou non dans la limite de la bonne foi, sans distinction de l’identité et des prérogatives des destinataires de la dénonciation.