Eclairage sur la compétence du juge des référés pour statuer sur la réintégration d’un salarié protégé dont l’autorisation de licenciement a été annulée

Par Julie De Oliveira et Sophie Elias

Dans le cadre de la réorganisation de son service comptabilité, la société ITM Logistique Alimentaire International (ITM) sollicitait l’autorisation auprès de l’inspection du travail de licencier quatre salariés protégés, comptables et agents administratifs, pour motif économique.

 

Ces autorisations étaient accordées le 14 février 2012 et les salariés étaient licenciés le 22 février suivant.

 

Les salariés saisissaient alors la juridiction administrative d’une contestation des autorisations de l’inspection du travail et obtenaient du tribunal administratif de Montpellier leur annulation par décisions du 19 novembre 2013.

 

Conformément à l’article L. 2422-1 du Code du travail, en cas d’annulation par le juge administratif de la décision de l’inspecteur du travail autorisant le licenciement d’un salarié protégé, le salarié concerné a le droit, s’il le demande dans un délai de deux mois à compter de la notification de ladite décision, d’être réintégré dans son emploi ou dans un emploi équivalent.

 

Le 8 janvier 2014, les quatre salariés sollicitaient leur réintégration dans l’emploi occupé précédemment.

 

Le principe est la réintégration du salarié sur l’emploi précédemment occupé. Ce n’est que dans le cas où cet emploi n’existe plus ou n’est pas vacant que la réintégration peut avoir lieu dans un emploi équivalent, notamment dans un autre établissement (Cass. soc. 26 février 1992, n°89-45.456).

 

Arguant de la suppression des postes des quatre salariés consécutivement à la réorganisation du service, la société ITM proposait le 26 février 2014 à chacun d’eux un poste équivalent dans un autre établissement.

 

Les salariés saisissaient alors la formation des référés du conseil de prud’hommes de Béziers le 28 février 2014 et faisaient part le 10 mars 2014 à la société de leur refus considérant « qu’il [devait] nécessairement exister des solutions de reclassement conformes aux obligations de l’employeur ».

 

La cour d’appel de Montpellier, sur appel interjeté par les salariés, confirmant l’analyse du conseil de prud’hommes, disait n’y avoir lieu à référé et invitait les salariés à saisir la juridiction au fond (CA. Montpellier 4ème chambre sociale 22 juillet 2015, n° 15/01182, n° 15/01184, n° 15/01185 et n° 15/01186).

 

Ainsi, comme le rappelle la cour d’appel, la formation de référé prud’homal peut être notamment saisie sur le fondement des articles R.1455-5 à R.1455-7 du Code du travail, à différentes conditions.

 

Le juge des référés peut tout d’abord être saisi en cas d’urgence lorsque les mesures sollicitées soit ne se heurtent à aucune contestation sérieuse, soit sont justifiées par l’existence d’un différend.

 

La cour d’appel de Montpellier a estimé pour écarter ce premier cas de recours au juge des référés que le fait de savoir si les postes proposés aux salariés constituaient un emploi équivalent au sens de l’article L. 2422-1 du code du travail, se heurtait à une contestation sérieuse qu’il appartenait au seul juge du fond d’apprécier.

 

Le juge des référés peut également prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite, et ce même en présence d’une contestation sérieuse.

 

La cour d’appel de Montpellier a rejeté également ce second cas de recours au juge des référés dans la mesure où, au regard de la preuve de la suppression des postes antérieurement occupés et des propositions de réintégration faites aux salariés, aucun trouble manifestement illicite ne justifiait la compétence du juge des référés.

 

La cour considérait ainsi que dans l’hypothèse où l’employeur ne peut réintégrer les salariés et leur propose un emploi équivalent, il respecte les dispositions de l’article L. 2422-1 du Code du travail et aucune illicéité manifeste ne peut lui être reprochée.

 

Cependant la chambre sociale de la Cour de cassation, sur pourvoi des salariés, a très récemment cassé ces quatre arrêts de la cour d’appel de Montpellier (Cass. soc. 20 avril 2017, n° 15-25.401, n° 15-25.402, n° 15-25.403 et n° 15-25.404).

 

La Cour de cassation jugeait depuis longtemps que le refus de réintégrer le salarié qui avait sollicité celle-ci dans un délai de deux mois constituait un trouble manifestement illicite justifiant la saisine du conseil de prud’hommes en référé dans la mesure où les juridictions avaient relevé que « l’emploi occupé par le salarié protégé, avant son licenciement, était disponible » (Cass. soc. 24 janvier 1990, n° 89-41.003).

 

En l’espèce, la cour d’appel de Montpellier avait relevé que l’employeur démontrait par la production du registre d’entrée et de sortie du personnel que les emplois précédemment occupés n’étaient plus disponibles, ce qui lui permettait de s’écarter de cette jurisprudence constante de la Cour de cassation.

 

Cependant, la Cour de cassation dans l’arrêt du 20 avril 2017 a censuré ce raisonnement dans un attendu général selon lequel « l’impossibilité pour le salarié protégé dont l’autorisation administrative de licenciement est annulée d’obtenir sa réintégration constitue un trouble manifestement illicite auquel le juge des référés doit mettre fin, même en présence d’une contestation sérieuse ».

 

Il apparait sans doute hâtif de conclure de cet arrêt que le simple constat de l’absence de réintégration suffit à caractériser par lui-même le trouble manifestement illicite justifiant la compétence du juge des référés.

 

L’absence de publication au Bulletin permet ainsi de tempérer la généralité de l’attendu et la portée de cette décision.

 

Comme les salariés le relevaient au soutien de leur pourvoi, le juge des référés aurait dû rechercher si les postes proposés constituaient réellement des emplois équivalents et par là même si les conditions de l’article L. 2422-1 du code du travail étaient effectivement remplies.

 

A défaut d’avoir caractérisé l’équivalence des postes proposés par rapport aux postes initialement occupés, l’absence de réintégration par l’employeur n’était pas justifiée, caractérisant dès lors une violation de l’article L. 2422-1 du code du travail.

 

Dans ces conditions, la Cour de cassation ne pouvait qu’apporter la même solution que celle rendue en cas de disponibilité du poste initial en censurant les arrêts de la cour d’appel de Montpellier.

 

Il reste à savoir quelle position retiendra la cour de renvoi (Nîmes). Ecartera-t-elle la compétence du juge des référés si la société ITM parvient à démontrer l’équivalence des postes proposés aux emplois précédemment occupés ou retiendra-t-elle une application restrictive de l’article L.2422-1 du code du travail ?

 

La seconde hypothèse pourrait s’avérer difficile à mettre en œuvre en pratique comme en l’espèce où la société ITM est contrainte de réintégrer les salariés alors qu’ils ont refusé les postes équivalents vacants qui leur avaient été proposés, sans qu’il soit certain que d’autres solutions de reclassement seront envisageables puis acceptées.