En SAS, une minorité peut-elle constituer la majorité ?

Par Nicolas Sidier et Pierre Détrie

 

Cass. com. 19 janvier 2022, n°19-12.696

 

La question peut paraître étrange mais puisque le principe de la SAS est de laisser une grande liberté aux statuts, certains ont pu penser que cela pourrait autoriser cette solution…extrême. La Cour de cassation vient de répondre dans une affaire dans laquelle les faits étaient les suivants.

 

Lors de l’assemblée générale, les associés avaient notamment décidé une augmentation de capital avec suppression du droit préférentiel de souscription au profit du dirigeant.

 

La délibération avait été adoptée par 229.313 voix contre 269.815, en vertu de l’article 17 des statuts qui stipulait que « les décisions collectives des associés sont adoptées à la majorité du tiers des droits de vote des associés, présents ou représentés, habilités à prendre part au vote considéré ».

 

Certains associés ont assigné la société, ses autres associés et le dirigeant en annulation de la délibération relative à l’augmentation de capital.

 

La Cour d’appel rejette la demande en nullité au motif que les délibérations avaient été valablement adoptées, en conformité avec les stipulations de l’article 17 des statuts, dans la mesure où elles avaient recueilli le tiers des droits de vote des associés présents ou représentés.

 

Il était demandé à la Cour de cassation de casser l’arrêt d’appel sur le fondement d’une violation de l’alinéa 2 de l’article 227-9 du Code de commerce qui dispose :

 

« Toutefois, les attributions dévolues aux assemblées générales extraordinaires et ordinaires des sociétés anonymes, en matière d’augmentation, d’amortissement ou de réduction de capital, de fusion, de scission, de dissolution, de transformation en une société d’une autre forme, de nomination de commissaires aux comptes, de comptes annuels et de bénéfices sont, dans les conditions prévues par les statuts, exercées collectivement par les associés. »

 

Après avoir rappelé que ce texte créé par la loi du 03 janvier 1994 qui institue la société par actions simplifiée laisse une grande liberté aux associés pour déterminer dans les statuts la majorité exigée pour adopter des résolutions dans les matières énumérées, la chambre commerciale indique que cette liberté trouve sa limite dans la nécessité d’instituer une règle d’adoption des résolutions soumises à l’examen collectif des associés qui permette de départager ses partisans et ses adversaires.

 

En l’occurrence, tel n’est pas le cas d’une stipulation statutaire qui prévoit qu’une résolution peut être adoptée par une proportion d’associés représentant moins de la moitié des droits de vote des présents ou représentés, puisque les partisans et les adversaires de cette résolution peuvent simultanément remplir cette condition de seuil.

 

Elle en conclut que les résolutions d’une SAS ne peuvent être adoptées par un nombre de voix inférieur à la majorité simple des votes exprimés et casse l’arrêt d’appel.

 

On peut s’interroger sur la portée de cet arrêt dans la mesure où les statuts de SAS peuvent prévoir différentes modalités pour décompter la majorité : à partir des voix exprimées, des voix présentes ou représentées ou de l’ensemble des voix attachées aux actions composant le capital.

 

La solution de la chambre commerciale revient à dire que le nombre de votes positifs doit être supérieur au nombre de votes négatifs et qu’ils doivent représenter au moins 50% des voix exprimées.

 

On peut en déduire qu’elle condamne les clauses statutaires prévoyant l’adoption de résolutions avec une majorité inférieure à 50% des voix présentes ou représentées. En effet, ce mode de calcul de la majorité implique de tenir compte des absentions et des votes blancs ou nuls (pour le comité juridique de l’ANSA (n°20-034 du 09 septembre 2020), les abstentions doivent être assimilées à des votes contre). Le seuil de la moitié des votes présents ou représentés pourrait donc être atteint à la fois par les voix « pour » et par les voix « contre ».

 

On peut aussi penser que la portée de l’arrêt se limite aux décisions qui sont visées par le deuxième alinéa de l’article L. 227-9 du Code de commerce (modifications du capital, fusion, scission, dissolution, transformation, CAC, comptes annuels et bénéfices) puisque l’arrêt a été rendu au visa de cet alinéa uniquement. Ne seraient donc pas concernées les autres décisions qui relèvent de la collectivité des associés en vertu du premier alinéa de cet article et des statuts.

 

 

Pour toute information, contactez Nicolas Sidier (sidier@pechenard.com)