Inaptitude : actualité jurisprudentielle de mars 2021

Par Julie De Oliveira et Camille Fournier

Les modalités de contestation de l’avis d’aptitude ou d’inaptitude rendu par le médecin du travail ainsi que la procédure de licenciement qui en résulte parfois ont fait l’objet de plusieurs éclaircissements par la cour d’appel de Paris en décembre 2020 et par la Cour de cassation en mars 2021.

 

  • Office du juge prud’homal en matière de contestation d’avis d’aptitude / inaptitude

 

Depuis la « loi Travail[1] », le conseil de prud’hommes est compétent pour traiter selon la procédure accélérée au fond, toutes les contestations portant sur « les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail reposant sur des éléments de nature médicale »[2].

 

Par un avis du 17 mars 2021, la Cour de cassation considère que la contestation porte uniquement sur la dimension médicale de l’avis rendu et non sur la procédure et les diligences mises en œuvre par le médecin du travail pour constater l’aptitude ou l’inaptitude (étude de poste et des conditions de travail, second examen éventuel…).

 

La Cour confirme ainsi la position récente du Ministère du travail[3], en permettant au juge prud’homal d’examiner « les éléments de toute nature »[4], y compris médicaux, sur lesquels s’est fondé le médecin du travail pour rendre son avis, à l’exclusion du déroulé de la procédure.

 

Il est précisé par ailleurs que la décision du conseil de prud’hommes se substitue à l’avis du médecin du travail contesté[5]. En revanche, cet avis ne peut être déclaré inopposable à une partie.

 

  • Aménagement de poste et modification du contrat de travail suite à un avis du médecin du travail

 

Le médecin du travail « peut proposer, par écrit et après échange avec le salarié et l’employeur, des mesures individuelles d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail ou des mesures d’aménagement du temps de travail justifiées par des considérations relatives notamment à l’âge ou à l’état de santé physique et mental du travailleur »[6].

 

L’employeur est alors tenu d’appliquer ces mesures. Cependant, celles-ci peuvent être d’une ampleur telle qu’elles entraînent un changement de poste et donc une modification du contrat de travail.

 

La Cour de cassation s’est interrogée sur le fait de savoir si en pareille situation, une déclaration d’inaptitude s’induisait nécessairement.

 

Dans l’affaire qui lui a été soumise, une hôtesse de caisse employée en horaires de nuit avait été déclarée inapte à son poste avec une contre-indication à tout travail de nuit après 22 heures.

 

La salariée a contesté cet avis. La cour d’appel l’a analysé en un avis d’aptitude avec réserves. Position confirmée par la Haute Juridiction le 24 mars 2021[7].

 

La chambre sociale a ainsi considéré que « la circonstance que les mesures d’aménagement préconisées entraînent une modification du contrat de travail du salarié n’impliqu[ait] pas, en elle-même la formulation d’un avis d’inaptitude »(Cass. soc. 24 mars 2021, n°19-16.558).

 

En d’autres termes, l’avis du médecin du travail peut conclure à une aptitude avec réserves même si ces dernières impliquent une modification du contrat de travail.

 

  • Obligations de l’employeur quant aux motifs s’opposant au reclassement

 

Hors les cas où l’avis d’inaptitude rendu par le médecin du travail mentionne que « tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé » ou que « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi »[8], l’employeur ne peut rompre le contrat de travail que s’il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi, soit du refus par le salarié de l’emploi proposé[9].

 

Des démarches doivent donc être entreprises pour tenter de reclasser le salarié[10] et ce dernier doit être informé par écrit des motifs s’opposant au reclassement, que l’inaptitude soit d’origine professionnelle ou non, sous peine de rendre le licenciement sans cause réelle et sérieuse[11].

 

La Cour de cassation a cependant admis une exception dans une décision du 24 mars dernier (n°19-21.263), assouplissant le formalisme applicable en la matière.

 

Ainsi, l’employeur n’est pas tenu de faire connaître les motifs qui s’opposent au reclassement lorsqu’un nouvel emploi, conforme aux préconisations du médecin du travail, a été refusé par le salarié[12]. Dans cette hypothèse, toute demande de dommages et intérêts pour non information des motifs de l’impossibilité de son reclassement sera rejetée.

 

  • Information-consultation du CSE sur les possibilités de reclassement

 

Si la loi précise bien que l’information-consultation du CSE est obligatoire en cas d’inaptitude d’origine professionnelle[13], la nécessité de cette formalité a fait débat jusqu’à un arrêt récent de la Cour de cassation. La Haute juridiction a finalement jugé que l’absence d’avis du CSE privait le licenciement de cause réelle et sérieuse, peu important que l’inaptitude soit d’origine professionnelle ou non[14].

 

Cet avis peut être recueilli « sans aucune formalité particulière », notamment par téléphone[15].

 

La Cour de cassation a aussi déjà jugé que cette formalité s’impose même en l’absence de proposition de reclassement et dans l’hypothèse où les recherches se sont révélées infructueuses[16].

 

La Haute Juridiction ne s’est pas encore prononcée sur la nécessité de recueillir l’avis du CSE lorsque le médecin du travail retient l’un des deux cas de dispense de recherche de reclassement dans l’avis d’inaptitude.

 

La cour d’appel de Paris a récemment eu l’occasion de statuer dans cette hypothèse.

 

Par un arrêt du 2 décembre 2020, les juges du fond ont considéré que l’avis du CSE était inutile, dès lors que l’inaptitude était totale, que le reclassement était impossible et que le comité n’avait « pas compétence pour remettre en cause l’appréciation du médecin du travail son éventuel avis ne pouvant se borner qu’à ce constat »[17].

 

Cependant, il s’agit d’une décision isolée, de sorte que la prudence s’impose encore en l’absence de confirmation de cette position par la Cour de cassation.

 

 

Pour toute information, contactez Julie De Oliveira (deoliveira@pechenard.com)

 

 

[1] Loi n°2016-1088 du 8 août 2016 ayant modifié l’article L. 4624-7 du Code du travail

[2] L. 4624-2 à L. 4624-4 et L.  4624-7 du code du travail

[3] Ministère du travail, questions-réponses du 20 octobre 2020 : https://travail-emploi.gouv.fr/sante-au-travail/suivi-de-la-sante-au-travail-10727/article/recours-contre-un-avis-d-inaptitude

[4] Cass. avis 17 mars 2021, n°15002 PI

[5] Cass. avis 17 mars 2021, n°15002 PI

[6] L.4624-3 et L.4624-4 du Code de travail

[7] Cass. soc., 24 mars 2021, n°19-16.558

[8] L.1226-2-1 du code du travail

[9] L.1226-2-1 et L.1226-12 du code du travail

[10] Cass., soc., 7 juillet 2004, n°02-47.686 ; Cass. soc., 15 février 2011, n°09-42.137

[11] Cass., soc, 5 avril 2018, n°16-29.074 ; Cass., soc., 3 juin 2020, n°18-25.757

[12] Cass. soc., 24 mars 2021, n°19-21.263

[13] L.1226-10 du code du travail

[14] Cass. soc., 30 septembre 2020, n°19-11.974

[15] Cass., soc., 30 septembre 2020, n°19-13.122

[16] Cass. soc., 30 septembre 2020, n°19-16.488

[17] CA Paris, Pôle 6, Chambre 4, 2 décembre 2020, n°14/11428