Indemnisation du préjudice d’exploitation : le tribunal de commerce de Paris nourrit tous les espoirs

Par Nicolas Sidier et Pierre Détrie

 

. Une ordonnance de référé du Tribunal de commerce de Paris prononcée le 22 mai 2020 a condamné Axa France Iard à indemniser à titre de provision la SAS Maison Rostang qui exploite le restaurant Le Bistro d’A Côté Flaubert des pertes subies du fait de l’épidémie du virus Covid-19. La société est dans l’impossibilité d’exploiter ce restaurant depuis l’arrêté du ministre de la santé du 14 mars 2020 qui avait notamment interdit aux restaurants de recevoir du public.

 

Si Axa aurait d’ores et déjà interjeté appel de l’ordonnance, celle-ci ouvre une brèche contre les sociétés d’assurance qui, depuis le début de l’épidémie, s’opposaient à l’indemnisation des pertes d’exploitation en soutenant en particulier qu’une pandémie ne serait pas un risque assurable. Il s’agit à notre connaissance de la première décision à se prononcer sur cette question  d’où son intérêt exceptionnel.

 

. Afin de justifier de l’urgence la SAS Maison Rostang faisait valoir, attestation de son expert-comptable à l’appui, que sa situation financière était gravement obérée et se traduisait à date par un déficit de trésorerie. Pour la petite histoire, l’assureur a tenté en vain d’invoquer la fortune personnelle du dirigeant pour contester le caractère d’urgence, ce à quoi le président a répondu d’une part que cette fortune n’était pas sérieusement établie et d’autre part qu’elle n’avait pas à rentrer en ligne de compte considérant l’autonomie de la personne morale de la société Maison Rostang.

 

Le tribunal a donc considéré que l’urgence était établie.

 

. Axa faisait surtout valoir le caractère inassurable du risque pandémique tant au plan économique que juridique.

 

Pragmatique, le tribunal a considéré que ce débat, pour intéressant qu’il puisse être, ne concernait pas le juge des référés lequel avait à se prononcer sur l’exécution d’un contrat comportant conditions générales et conditions particulières, lesquelles faisaient la loi des parties.

 

Le juge des référés a simplement relevé qu’Axa ne s’appuyait sur aucune disposition légale d’ordre public mentionnant le caractère inassurable d’une conséquence d’une pandémie. Il incombait donc à Axa d’exclure conventionnellement ce risque, ce qui n’était pas le cas.

 

Si les conditions particulières visaient bien une fermeture administrative comme une extension de la perte d’exploitation, Axa prétendait que la fermeture administrative visée dans le contrat devait s’entendre comme celle qui prise par le préfet du lieu où est situé l’établissement et non par le ministre de la santé. Le tribunal a rejeté cet argument au motif que, peu importe que la décision soit prise par le préfet ou le ministre, dans les deux cas, il s’agit d’une décision administrative et qu’aucune exclusion contractuelle ne vise la décision d’un ministre.

 

Enfin, Axa faisait valoir que l’arrêté du 14 mars 2020 n’imposait pas la fermeture de l’établissement mais seulement de ne plus accueillir du public et que celui-ci était autorisé à maintenir son activité à emporter et de livraison. Elle en concluait que la décision de fermer l’établissement résultait d’une décision du chef d’entreprise qui n’avait pas souhaité se lancer dans la vente à emporter.

 

Cet argument est également écarté par le président qui note que ce restaurant n’avait jamais pratiqué la vente à emporter ni la livraison. Le fait de n’y avoir pas recouru ne supprime pas l’interdiction de ne plus recevoir du public ce qui est fondamental pour un restaurant traditionnel. En revanche, le tribunal accepte de prendre en considération la marge qu’aurait procuré une telle activité dans la détermination du montant garanti.

 

. En conclusion, le tribunal retient que l’interdiction de recevoir du public est bien une fermeture administrative totale ou partielle du restaurant et condamne Axa à verser à la société Maison Rostang à titre de provision la somme de 45.000 euros sous astreinte de 1.000 euros par jour à compter du 15ème jour de la signification de l’ordonnance.

 

L’intérêt essentiel de cette décision est dans la lecture très stricte que le juge fait du contrat en obligeant l’assureur à spécifier expressément les risques qu’il entend exclure. A défaut ceux-ci sont réputés garantis. Que le juge des référés, que l’on a coutume d’appeler le juge de l’évidence s’avance aussi clairement sur ce terrain constitue pour les exploitants une victoire d’importance mais qu’il faudra confirmer par la suite y compris au fond. Les pronostics sont permis mais les cyniques sont prévenus ; le juge veille à ce que le rapport de force s’équilibre en faveur de ceux qui en ont le plus besoin

 

 

Pour toute information complémentaire, contactez Maître Nicolas Sidier (sidier@pechenard.com)