Jeux vidéo ou jeux d’argent ?

Par Fabien Honorat

Les éditeurs de jeux tentent de monétiser le plus possible l’usage de leurs produits en proposant quasi systématiquement des boutiques virtuelles permettant d’acheter divers avantages ou bonus (compétences, armes, tenues, nouveaux personnages …).

 

Dans certains cas il est proposé aux joueurs d’acheter une « loot box » c’est-à-dire une pochette surprise virtuelle à l’intérieur de laquelle se trouvent certains avantages sans que le joueur n’en connaisse le détail à l’avance.

 

Parfois ces « loot boxes » sont également offertes gratuitement à certains joueurs en fonction de leur progression dans le jeu.

 

Les administrations belges, hollandaises et françaises se sont émues de cette pratique commerciale considérant qu’elle devait être qualifiée de jeu de hasard non autorisé et par conséquent interdit.

 

Le parquet de Bruxelles a ouvert le lundi 10 septembre une information judiciaire visant l’éditeur Electronic Arts, pour son jeu vidéo de football FIFA 19, lequel propose à la vente des « loot boxes ».

 

Sous la menace de poursuites, d’autres éditeurs de jeux vidéo avaient d’ailleurs préféré modifier cette mécanique de bonus et supprimer ces pochettes surprises virtuelles.

 

Il convient de rappeler que la loi retient 4 critères pour définir un jeu de hasard : une offre publique, l’espérance d’un gain, l’intervention du hasard et une dépense pour participer.

 

A priori les « loot boxes » cochent ces 4 critères dès lors qu’elles sont payantes, qu’elles font naître l’espoir d’un gain qui est défini sur une base aléatoire.

 

Ce mécanisme s’apparente à un jeu 100% gagnant puisque quand le joueur paye sa « loot boxe » il sait qu’il va gagner quelque chose mais il ne sait pas quoi.

 

Or ce type de jeu a toujours été considéré comme un jeu de hasard.

 

Toutefois il est probable que pour se défendre les éditeurs de jeux se tournent vers la directive sur les pratiques commerciales déloyales du 11 mai 2005 (ils auraient sans doute intérêt à le faire). Cette directive encadre les pratiques commerciales des professionnels à l’égard des consommateurs dans le cadre de la vente de leurs produits ou services.

 

Ce texte s’applique sans doute aux relations entre les éditeurs de jeux et leurs consommateurs avant l’acte d’achat mais également pendant l’utilisation du jeu.

 

Or, cette directive fixe une liste limitative de 31 pratiques qui sont par nature déloyales et interdites. En dehors de cette liste, pour juger qu’une pratique commerciale est déloyale, les tribunaux doivent se référer aux deux critères fixés par le texte européen :

 

– La pratique commerciale est-elle contraire aux exigences de la diligence professionnelle,

 

– La pratique commerciale est-elle de nature à modifier sensiblement le comportement économique des consommateurs.

 

C’est sur cette base juridique que la Cour Européenne a sanctionné plusieurs réglementations nationales européennes et notamment les lois nationales qui interdisaient les loteries promotionnelles avec obligation d’achat.

 

En France, la réglementation a évolué sur ce point puisque depuis 2014 les loteries promotionnelles avec obligation d’achat ne sont plus interdites et il appartient au juge de vérifier le respect des deux critères évoqués ci-dessus pour qualifier une loterie de pratique interdite ou non.

 

Les éditeurs de jeux vidéo utilisant des « loot boxes » auraient donc tout intérêt à se fonder sur cette réglementation pour légitimer leur pratique.

 

Toutefois la solution n’est peut-être pas si simple.

 

En effet, parmi les 31 pratiques nécessairement déloyales fixées par la directive de 2005 figure le fait de donner l’impression au consommateur qu’il a déjà gagné ou qu’il gagnera une dotation alors que, en fait:

 

-soit il n’existe pas de prix ou autre avantage équivalent ;

 

-soit l’accomplissement d’une action en rapport avec la demande du prix ou autre avantage équivalent est subordonné à l’obligation pour le consommateur de verser de l’argent ou de supporter un coût.

 

(article 121-7 du Code de la consommation)

 

Or dans le système des « loot boxes » les consommateurs savent qu’ils vont gagner une dotation (même s’ils en ignorent les caractéristiques), et le fait de leur demander de verser une somme pour obtenir ce prix pourrait contrevenir au texte évoqué ci-dessus et constituer ainsi par nature une pratique commerciale interdite.

 

La Cour Européenne avait d’ailleurs appliqué de façon très stricte cette disposition indiquant que dans cette hypothèse, « l’interdiction de faire supporter le moindre coût par le consommateur est absolue, qu’il s’agisse du coût d’un timbre-poste ou d’une communication téléphonique ordinaire. » (18 octobre 2012 – Affaire C-428/11 – Purely Creative Ltd. c/ Office of Fair Trading )

 

La bataille judiciaire s’avère complexe et le fait que ces jeux vidéo soient en partie utilisés par des enfants ou des adolescents devrait être de nature à rendre les juridictions saisies sans doute plus prudentes.

 

On aura beau jeu… de rappeler que les pochettes surprises réelles et non virtuelles ont toujours existé (roses pour les filles et bleues pour les garçons … mais c’est un autre débat !) sans que cela n’émeuve l’administration ou les tribunaux. Pourquoi leur caractère virtuel viendrait modifier ce point de vue ?