La citation de la marque des lots par l’organisateur d’un jeu concours

Par Fabien Honorat et Baptiste Piljan

Lorsqu’un agent économique prend l’initiative d’organiser un jeu concours consistant en l’attribution de biens de marque aux gagnants, son intérêt est de mettre en jeu les lots les plus attrayants aux yeux du public et de communiquer amplement sur ces produits ou avantages qui seront attribués, afin d’attirer le plus largement possible les participants intéressés.

 

L’intérêt de l’organisateur à une telle communication entre ici en conflit avec les droits des tiers, en particulier les droits de propriété intellectuelle dont bénéficient les titulaires des marques dont les produits sont destinés aux gagnants du jeu concours. Ils peuvent en effet décider de s’opposer à ce que l’organisateur du jeu utilise dans le cadre d’une telle communication la marque dont ils sont titulaires.

 

Se pose alors la question de savoir si l’organisateur d’un jeu concours peut licitement mentionner dans sa communication publicitaire la marque des produits destinés à être attribués aux gagnants, sans avoir à recueillir le consentement du titulaire de la marque.

 

Les textes régissant les droits sur les marques mettent en œuvre une protection importante au bénéfice du titulaire du droit, qui peut empêcher un large éventail d’utilisation de sa marque par les tiers.

 

Ainsi, l’article L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle prévoit une interdiction de principe empêchant un tiers d’utiliser, dans la vie des affaires, une marque protégée pour désigner des produits identiques à ceux visés dans l’enregistrement.

 

En outre, lorsque la marque des produits figurant dans les lots est une marque de renommée, son utilisation ne sera pas possible si elle vise à tirer indûment profit de cette renommée.

 

Plus particulièrement, en vertu de l’article L. 713-3-1 5° du code de la propriété intellectuelle, il est interdit à un tiers de mentionner une marque dans sa publicité, sans l’autorisation de son titulaire.

 

Il apparaît ainsi qu’a priori, les textes ne semblent pas permettre à l’organisateur d’un jeu concours de mentionner, dans sa communication publicitaire, les marques des produits destinés à être alloués aux gagnants, lorsque l’accord du titulaire n’est pas acquis.

 

La jurisprudence s’était également montrée défavorable à un tel usage de marque. En avril 1990, la société Redoute Catalogue avait organisé une loterie dans laquelle elle proposait des produits de la marque Christian Dior. Assignée par la société Christian Dior pour usage illicite de marque, la société défenderesse avait été condamnée par la cour d’appel. Saisie d’un pourvoi, la chambre commerciale de la Cour de cassation a tout d’abord noté que la cour d’appel avait relevé que les produits litigieux avaient été régulièrement acquis par la société Redoute Catalogue et ne portaient pas une marque contrefaite mais étaient offerts au public dans le cadre d’une loterie organisée à des fins publicitaires. Elle a ensuite approuvé les juges du fond d’avoir décidé que le propriétaire de la marque est en droit de s’opposer à ce que les produits la portant puissent être diffusés dans le public dès lors que cette diffusion n’a pas pour objet leur commercialisation[1]. Elle rejeta ainsi le pourvoi.

 

La messe semble dite !

 

Toutefois, des limitations sont apportées aux prérogatives du titulaire de la marque. Elles permettent aux tiers de mentionner cette dernière dans le cadre de leur activité. Etant des exceptions aux droits de propriété intellectuelle, elles sont comme telles d’interprétation stricte.

 

C’est ainsi que l’article L. 713-6 3° du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction actuelle, semble apporter aux droits sur la marque une limitation plus importante que celle posée dans sa rédaction antérieure au 15 décembre 2019. En effet, auparavant, l’utilisation du signe n’était possible que lorsqu’il s’agissait d’une référence nécessaire pour indiquer la destination d’un produit, notamment en tant qu’accessoire ou pièce détachée et à condition qu’elle ne génère pas de confusion dans leur origine.

 

Ce texte permet désormais à un tiers de citer une marque déposée, dès lors que cet usage est fait pour mentionner des produits comme étant ceux du titulaire de cette marque. Pourrait-on envisager cette disposition comme le fondement textuel permettant à l’organisateur d’un jeu concours de citer licitement la marque des lots destinés aux gagnants ?

 

La nouvelle rédaction est issue de la transposition en droit français de la directive 2015/2436 du 16 décembre 2015, en l’occurrence son article 14, opérée par l’ordonnance n°2019-1169 du 13 novembre 2019.

 

Le considérant 27 de la directive indiquait, à propos des limites apportées aux droits des titulaires de la marque, que « le titulaire ne devrait pas être autorisé à empêcher l’usage loyal et honnête de la marque afin de désigner ou de mentionner des produits ou des services comme étant les siens. L’usage d’une marque fait par des tiers afin d’attirer l’attention des consommateurs sur la revente de produits originaux qui étaient, à l’origine, vendus au sein de l’Union par le titulaire de la marque ou avec son consentement devrait être considéré comme loyal, dès lors qu’il est également conforme aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale ».

 

A la lumière de ce texte, le tiers devrait donc pouvoir citer la marque pour indiquer que les produits sont ceux du titulaire de la marque. Cela signifie-t-il que la citation est licite même lorsque le consommateur n’obtiendra pas le produit en l’acquérant directement auprès du titulaire de la marque, mais d’un autre agent économique, en l’occurrence l’organisateur du jeu ? De plus une telle citation, dans le cadre de la communication autour de l’organisation d’un jeu concours, correspond-elle à un « usage loyal et honnête » ?

 

Si la citation d’une marque par un tiers dans le but d’attirer l’attention du public sur une revente des produits vendus dans l’Union européenne par le titulaire de la marque ou avec son consentement doit être considérée comme un usage loyal de la marque, ne pourrait-on pas considérer, par analogie, que la citation d’une marque par un tiers organisateur d’un jeu concours afin d’attirer l’attention du public sur l’attribution des lots doit également être considérée comme un usage loyal, dès lors que les produits attribués aux gagnants ont été mis dans le commerce au sein de l’Union par le titulaire de la marque ou avec son consentement ?

 

Il reste donc beaucoup de questions en suspens en attendant d’éventuels éclaircissements par la jurisprudence.

 

 

 

 

Pour toute information, contactez Fabien Honorat (honorat@pechenard.com).

 

 

[1] Com., 2 juillet 1996, 94-10.525, Bull., 1996 IV n°201 p. 172.