Le droit de l’employeur de contrôler l’utilisation du matériel informatique de l’entreprise par le salarié

Par Emmanuelle Sapène et Laure Guilmet

Nombreux sont les salariés qui ont, pour l’exercice de leur activité professionnelle, du matériel informatique mis à leur disposition par l’employeur. Pourtant en pratique certains n’hésitent pas à l’utiliser à des fins autres que professionnelles.

 

Si une utilisation personnelle des outils informatiques de l’entreprise peut être tolérée par l’employeur, ce dernier a le droit de surveiller et de contrôler l’utilisation qui en est faite par ses salariés et les sanctionner le cas échéant.

 

L’arrêt rendu le 12 janvier 2016 par la Cour européenne des droits de l’homme dans une affaire Barbulescu contre Roumanie (CEDH, 12 janvier 2016, n°61496/08) illustre ce droit légitime de l’employeur. A propos du licenciement d’un salarié pour avoir utilisé, à des fins personnelles et pendant ses heures de travail, les comptes internet de la société en méconnaissance des dispositions du règlement intérieur, la cour européenne a jugé que la surveillance de ses communications par l’employeur était raisonnable et que par conséquent il n’y avait pas eu de violation de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.

 

Cette décision est l’occasion de faire le point sur l’état du droit français en parfaite conformité avec la position de la juridiction européenne.

 

Principe

 

L’employeur tire de son pouvoir de direction, le droit de surveiller et de contrôler l’activité de ses salariés sur le lieu et pendant le temps de travail. Il peut notamment contrôler l’utilisation par ses salariés des outils mis à leur disposition pour l’exécution de leur travail.

 

Tempéraments

 

Ce principe est cependant tempéré par le respect de l’exigence de loyauté et des droits et libertés des salariés.

 

D’une part, en vertu de l’exigence de loyauté dans les relations contractuelles, les salariés doivent être informés préalablement des moyens de contrôle mis en place par l’employeur dès lors qu’ils peuvent être utilisés dans une procédure visant à sanctionner leur comportement (cass. soc. 22 mai 1995, n°93-44.078). Ainsi le règlement intérieur ou une charte informatique portée à la connaissance des salariés, peuvent prévoir les conditions d’utilisation des outils informatiques, encadrer leur utilisation à des fins personnelles et préciser les moyens de contrôle.

 

D’autre part, sur le fondement de l’article L. 1121-1 du Code du travail, le contrôle de l’utilisation du matériel informatique opéré par l’employeur ne doit pas apporter aux droits et libertés des salariés des restrictions disproportionnées et non justifiées par la nature de la tâche à accomplir. Ainsi le droit au respect de la vie privée et le droit au secret des correspondances consacrés à l’article 9 du Code Civil et à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, peuvent être invoqués par le salarié qui estimerait le contrôle de son activité par l’employeur contraire au respect de l’intimité de sa vie privée. C’est en effet le célèbre arrêt Nikon qui a consacré le droit du salarié au respect de l’intimité de sa vie privée même au temps et au lieu de travail (cass. soc. 2 octobre 2001, n°99-42.942).

 

Il s’agit alors de parvenir à un équilibre entre la protection de la liberté du salarié au travail et le droit légitime de l’employeur de s’assurer que le salarié exécute loyalement les obligations dont il est tenu conformément à l’intérêt de l’entreprise.

 

Dès lors, la mise en place d’un dispositif de contrôle par l’employeur doit être justifiée par un intérêt légitime tels que des problèmes de sécurité, des risques d’actes de concurrence déloyale ou par la nécessité d’éviter des usages abusifs ou préjudiciables à l’entreprise.

 

Moyens de contrôle

 

En pratique l’employeur va contrôler les fichiers informatiques contenus sur l’ordinateur professionnel ou sur une clé USB connectée à ce dernier, les connexions internet établies par le salarié, les courriels émis ou reçus à l’aide de la messagerie professionnelle ainsi que les SMS envoyés ou reçus grâce au téléphone portable professionnel.

 

Ils sont présumés avoir un caractère professionnel de sorte que l’employeur peut y avoir accès librement hors présence du salarié et peuvent constituer une preuve licite des fautes reprochées au salarié.

 

Limites du contrôle

 

Cette présomption de leur caractère professionnel ne peut être renversée qu’en cas d’identification personnelle précise. A cet égard, l’absence de signe distinctif ne renverse pas la présomption ; de même un fichier portant la dénomination « mes documents » n’est pas considéré comme personnel (cass. Soc. 10 mai 2012, n°11-13.884). En revanche, l’identification comme personnelle peut résulter du libellé, du classement dans un dossier ou répertoire           « personnel ».

 

Lorsque le salarié identifie expressément les fichiers, courriels ou SMS comme étant personnels, l’employeur ne pourra accéder à ces derniers qu’en présence de l’intéressé ou du moins lorsque celui-ci a été dûment appelé. Par exemple au sujet des fichiers identifiés comme personnels contenus sur le disque dur de l’ordinateur mis à la disposition du salarié, la jurisprudence retient que l’employeur ne peut les ouvrir qu’en présence de ce dernier ou celui-ci dûment appelé sauf risque ou événement particulier (cass. Soc. 17 mai 2005, n°03-40.017).

 

A défaut, l’employeur ne pourra se prévaloir de leur contenu, la preuve ainsi constituée sera considérée comme illicite.

 

Néanmoins l’employeur suspicieux pourra demander au juge le recours à un huissier ou la désignation d’un expert mandaté pour accéder et enregistrer les données de l’ordinateur d’un salarié lorsqu’il existe un motif légitime et nécessaire à la protection des droits de l’employeur. En pareille hypothèse, l’employeur ne viole pas le secret de la correspondance puisque ce n’est pas lui qui accède directement aux fichiers ou courriels litigieux.

 

Par ailleurs, la jurisprudence distingue les modalités d’exercice du droit de contrôle de l’employeur de la possibilité de se prévaloir de leur contenu.

 

Si un employeur peut toujours consulter les fichiers informatiques du salarié qui n’ont pas été identifiés par lui comme personnels, en revanche dès lors qu’ils s’avèrent relever de sa vie privée, sans rapport avec son activité professionnelle, il ne peut ni les produire intégralement en justice à son encontre dans une procédure judiciaire (cass. Soc. 18 octobre 2011, n°10-25.706) ni les utiliser pour le sanctionner (cass. Cas. 5 juillet 2011, n°10-17.284). Selon une jurisprudence constante, un fait de la vie privée n’est jamais constitutif d’une faute mais il peut être une cause réelle et sérieuse de licenciement non disciplinaire dès lors qu’il a créé un trouble objectif caractérisé dans le fonctionnement de l’entreprise.

 

Enfin, l’employeur qui consulte des fichiers et messages électroniques personnels s’expose à des poursuites pénales pour violation des correspondances, délit réprimé par l’article 226-15 du Code pénal.

 

La Commission Badinter dont le rapport a été remis au Premier Ministre le 25 janvier dernier, confirme, en son article 1er, les règles ci-dessus énoncées.