Le juge peut déterminer la partie fixe du loyer binaire en renouvellement

Par Nicolas Sidier et Aurélie Pouliguen-Mandrin

 

Civ. 3ème, 3 novembre 2016, n°15-16.826, FS-P+B+R + I
Civ. 3ème, 3 novembre 2016, n°15-16.827, FS-P+B+R + I

CA Versailles, 12ème ch., 13 septembre 2016, n°15-02232

 

La Cour de Cassation vient par deux arrêts appelés à la plus large diffusion, d’affirmer sa nouvelle position en matière de détermination de la part fixe du loyer binaire lors du renouvellement du bail.

 

Le loyer binaire se compose d’une partie fixe (le loyer minimum garanti : LMG) complétée par une part variable calculée le plus souvent sur le chiffre d’affaires du preneur (la clause « recettes »).

 

De nombreuses activités sont concernées par ce type de clauses que l’on retrouve essentiellement dans les baux de commerces de centres commerciaux, de villages de vacances et campings, des salles de spectacle, de restauration, mais également de certaines boutiques situées aux meilleurs emplacements des centres-villes.

 

Depuis le célèbre arrêt « Théâtre Saint Georges » [1], à défaut d’accord des parties sur le montant de la part fixe du loyer en renouvellement, les tribunaux considéraient que le principe de sa fixation à la valeur locative était inapplicable et échappait à leur compétence.

 

Les juges renvoyaient systématiquement les parties à leur propre convention [2]. Celles-ci étaient donc condamnées à s’entendre sur le montant du LMG en renouvellement, faute de quoi celui-ci demeurait quasiment inchangeable.

 

La pratique a en conséquence développé des clauses prévoyant la fixation du LMG du bail renouvelé à la valeur locative.

 

Dans ses deux arrêts du 3 novembre 2016, la 3ème chambre civile de la Cour de Cassation a constaté que les baux qui lui étaient soumis, prévoyaient expressément les modalités selon lesquelles interviendrait la fixation du loyer lors du renouvellement du bail.

 

En l’espèce, les parties étaient convenues que : « dans les termes et conditions de la législation en vigueur, le loyer de base sera fixé selon la valeur locative telle que déterminée par les articles 23 à 23-5 du décret du 30 septembre 1953 ou tout autre texte qui lui serait substitué » et qu’à « défaut d’accord le loyer de base sera fixé judiciairement selon les modalités prévues à cet effet par la législation en vigueur »[3] .

 

La Cour de Cassation en a conclu que cette rédaction au demeurant assez courante, permettait de fixer le loyer de base à la valeur locative et de retenir à cette fin, la compétence du juge des loyers commerciaux.

 

La Cour de Cassation a d’ailleurs précisé que le juge fixe le montant de la valeur locative en vertu des critères de l’article L.145-33 du Code de commerce et en prenant en considération, l’incidence de la part variable du loyer qui peut donner lieu à une décote de la part fixe, via un pourcentage d’abattement.

 

Ce dernier élément est parfaitement conforme aux dispositions de l’article R.145-8 du Code de commerce qui permet en matière de fixation du loyer à la valeur locative lors du renouvellement du bail, de prendre en considération « les obligations respectives des parties ».

 

Récemment, la Cour d’appel de Versailles a également retenu la possibilité de fixer le loyer minimum garanti, à la valeur locative, déterminée par les règles du statut des baux commerciaux [4].

 

Là encore, le bail prévoyait expressément « qu’à l’occasion de chacun des renouvellements successifs (…), le loyer minimum garanti sera fixé à la valeur locative, appréciée au jour de la prise d’effet du bail renouvelé. Les parties déclarent soumettre volontairement la procédure et les modalités de fixation de cette valeur locative aux dispositions des articles 23 à 23-9 et 29 et 31 du décret du 30 septembre 1953 et attribuer compétence du juge des loyers (…) ».

 

Il y a manifestement un courant jurisprudentiel qui consacre une approche conventionnelle de ces clauses, pour justifier une intervention du juge dans un domaine longtemps laissé de côté.

 

Cela implique à ce stade que les clauses de renouvellement renvoient clairement à la valeur locative, ou à tout le moins, que celle-ci ne soit pas exclue. De la sorte, c’est bien l’ensemble de la clause qui sera soumise au contrôle du juge des loyers commerciaux car ce dernier déterminera nécessairement la partie fixe en prenant en compte l’impact de la part variable.

 

Ce revirement de jurisprudence concerne le loyer du bail renouvelé mais il n’est pas exclu que cette évolution porte mutadis mutandis dans un avenir proche sur sa révision. Là encore, la solution est vraisemblablement dans la rédaction de la clause…

_______________

[1] Arrêt Théâtre Saint-Georges, Civ. 3ème, 10/03/1993, n°91-13.418

[2] Civ. 3ème, 18/06/2002, n°1067 FD AJDI 2002, page 685

[3] CA Limoges, 07/09/2014, n°13/00095 – AJDI 2015, page 514

CA d’Aix en Provence, 19/02/2015, n°13/11349, ADJI 2015, page 514

[4] CA de Versailles, 12ème ch., 13/09/2016, n°15/02232