Du nouveau sur le contrôle par l’employeur des communications privées de ses salariés

Par Julie De Oliveira et Annie Etienne

En droit français, les courriels adressés par un salarié à l’aide de l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel de sorte que l’employeur est en droit de les ouvrir hors la présence de l’intéressé, sauf si le salarié les identifie comme « personnels » (cf. Cass. soc. 15 décembre 2010, n° 08-42.486 ; Cass. soc. 26 juin 2012, n° 11-14.022). Le règlement intérieur de l’entreprise peut contenir des dispositions encadrant le pouvoir de consultation de l’employeur en le soumettant à d’autres modalités.

 

Faute de prendre de telles précautions, l’employeur s’expose à des sanctions pénales pour violation du secret des correspondances.

 

La Cour de cassation a d’ailleurs eu l’occasion de juger que les messages électroniques litigieux provenant de la messagerie personnelle de la salariée distincte de la messagerie professionnelle dont celle-ci disposait pour les besoins de son activité, devaient être écartés des débats en ce que leur production en justice portait atteinte au secret des correspondances (Cass. soc. 26 janv. 2016, n°14-15.360).

 

La Chambre de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) avait précisé dans une décision du 12 janvier 2016 que la surveillance par l’employeur des communications d’un salarié sur une messagerie interne de l’entreprise ne constituait pas une violation du droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance au sens de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, dès lors que cette surveillance apparaissait raisonnable dans le contexte d’une procédure disciplinaire. La surveillance des communications constituait, dans cette espèce, le seul moyen d’établir la preuve d’un manquement disciplinaire (CEDH, 12 janvier 2016, requête n° 61496/08).

 

Cette décision de la CEDH a été contestée par le requérant qui avait été licencié pour avoir échangé avec son frère et sa fiancée sur un compte Yahoo Messenger ouvert sur invitation de son employeur pour répondre aux demandes des clients, alors que le règlement intérieur de l’entreprise interdisait l’usage des ressources de l’entreprise à des fins personnelles.

 

Par une décision du 5 septembre 2017, la Grande Chambre de la CEDH (l’instance suprême de la Cour) a accepté de réexaminer sa décision et est revenue sur sa position en considérant que les juridictions roumaines n’avaient pas garanti au salarié le droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance en ne vérifiant pas si cette mesure de surveillance était proportionnée au but poursuivi et si le salarié était protégé contre l’arbitraire de l’employeur.

 

Plus particulièrement, la CEDH a estimé que les juges nationaux devaient vérifier si :

 

– le salarié avait été informé de la possibilité que ses communications échangées sur son compte Yahoo Messenger soient surveillées,
– l’employeur avait des raisons légitimes permettant de justifier cette surveillance,
– un autre dispositif de surveillance avec des moyens et des mesures moins intrusifs aurait pu être possible,
– le salarié avait bénéficié de garanties adéquates permettant d’empêcher l’employeur d’accéder au contenu même des communications sans avoir été averti préalablement.

 

Pour la CEDH, les juges nationaux devaient ainsi examiner l’étendue de la surveillance et le degré d’intrusion dans la vie privée du salarié, ainsi que les conséquences de cette surveillance pour ce dernier.

 

Il s’agit en réalité de définir un juste équilibre entre le droit du salarié au respect de sa vie privée et le droit de l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et le bon fonctionnement de l’entreprise notamment en se protégeant du piratage de données, des virus informatiques et des consultations de sites prohibés.

 

En conclusion, aux termes de la décision du 5 septembre dernier, l’employeur pourra continuer à surveiller les communications privées de ses salariés via leur messagerie professionnelle et, le cas échéant, les sanctionner ou les licencier pour une utilisation abusive de l’internet à des fins personnelles.

 

Il devra néanmoins encadrer cette surveillance et en informer les salariés concernés.

 

Cette recherche d’équilibre entre la vie privée et le monde professionnel est d’ailleurs le but poursuivi par la CNIL en France en ce qu’elle impose l’information/consultation du personnel et une information des salariés sur les dispositifs mis en place, les modalités du contrôle et la durée de conservation des données.

 

Certes, la France encadre déjà la surveillance par l’employeur des communications privées des salariés mais suite à la décision de la Grande Chambre de la CEDH, il n’est pas exclu que de nouvelles obligations soient édictées à l’égard des entreprises par le législateur français ou par les juridictions françaises.

 

CEDH, Grande Chambre, 5 septembre 2017, requête n° 61496/08, Aff. Barbulescu c. Roumanie