Point d’actualité sur le contrôle de la messagerie des salariés et sur la vidéosurveillance

Par Julie De Oliveira et Clémentine Bensimon

Quel vaste sujet que le contrôle de l’activité des salariés.

 

L’employeur peut en effet surveiller ses salariés de différentes manières par la géolocalisation et la vidéosurveillance, via les communications téléphoniques et les connexions internet, avec l’accès aux fichiers informatiques et messageries électroniques ou les dispositifs biométriques.

 

Peut-il pour autant faire ce qu’il veut ?

 

La réponse est clairement non : le pouvoir de direction de l’employeur est limité. Il doit concilier la nécessité de surveiller ses salariés dans l’intérêt de l’entreprise avec de grands principes fondamentaux, tels que le respect du droit à la vie privée et le secret des correspondances.

 

Mais avec l’évolution constante des moyens de communication et de surveillance, la Cour de cassation doit, sans cesse, tenir à jour sa jurisprudence.

 

* La chambre sociale a ainsi rappelé dans un arrêt récent que les messages électroniques échangés par des salariés sur leur poste de travail, dès lors qu’ils proviennent d’une messagerie privée instantanée sont couverts par le secret des correspondances sans que le salarié n’ait besoin de les identifier comme étant personnels (cass. soc. 23 octobre 2019, n° 17-28448 : « les messages électroniques litigieux, échangés au moyen d’une messagerie instantanée, provenaient d’une boîte à lettre électronique personnelle distincte de la messagerie professionnelle dont la salariée disposait pour les besoins de son activité, la Cour d’appel en a exactement déduit qu’ils étaient couverts par le secret des correspondances »).

 

En l’espèce, l’employeur ne pouvait ni ouvrir les messages instantanés de la salariée hors sa présence ni les utiliser pour justifier la sanction disciplinaire prononcée à son encontre (un licenciement pour faute grave) en arguant du fait qu’elle ne les avait pas identifiés comme étant personnels ni que messages étaient présumés avoir un caractère professionnel.

 

La Cour de cassation tempère ainsi le principe selon lequel les messages envoyés par le salarié à l’aide de l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel (ex : cass. soc. 15 décembre 2010, n° 08-42486 ; cass. soc. 18 octobre 2011, n° 10-26782).

 

La Haute Juridiction applique à la messagerie instantanée la jurisprudence retenue à l’égard de la messagerie électronique privée des salariés (dont cass. soc. 26 janvier 2016, n° 14-15360).

 

Dans le même sens, la Haute Juridiction considère que si l’employeur peut consulter les messages électroniques professionnels qui n’ont pas été identifiés comme étant personnels par le salarié, il ne peut les utiliser à son encontre dans le cadre d’une procédure disciplinaire ou judiciaire s’ils s’avèrent relever de sa vie privée (ex : cass. soc. 18 octobre 2011, n° 10-25706 ; cass. soc. 2 février 2011, n° 09-72449).

 

Avant de consulter et d’utiliser des messages électroniques du salarié, notamment pour justifier d’une sanction ou d’un licenciement, l’employeur doit s’assurer de :

 

– Leur provenance (messagerie professionnelle ou personnelle),
– Leur identification (personnel ou non),
– Leur contenu (s’il comporte des faits relevant de la vie privée).

 

* S’agissant de la vidéosurveillance des salariés, celle-ci doit être utilisée avec beaucoup de vigilance et elle doit s’articuler avec le principe du droit au respect de la vie privée.

 

Le 17 octobre 2019, à l’occasion de l’affaire Lopez Ribalda et autres contre l’Espagne, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a rendu une décision sur la question de l’utilisation de la vidéosurveillance par l’employeur à l’encontre de salariés dans le cadre de procédures disciplinaires.

 

Dans cette affaire, le directeur d’un supermarché espagnol avait relevé des incohérences importantes entre le niveau des stocks et les chiffres des ventes ainsi que des pertes de plusieurs milliers d’euros.

 

Pour comprendre ce qu’il se passait, il avait installé des caméras de surveillance dans le magasin dont certaines étaient visibles et d’autres dissimulées sans avertir les salariés qu’ils étaient filmés.

 

Les caméras visibles étaient orientées vers les entrées et les sorties du supermarché et visaient les allers et venues des clients. Les caméras dissimulées étaient placées en hauteur et dirigées vers les caisses pour surveiller les salariés à leur insu.

 

14 salariés ont été licenciés pour motif disciplinaire avec effet immédiat à l’appui des enregistrements de vidéosurveillance pris à leur insu.

 

La CEDH a été saisie par une partie des salariés pour violation des articles 6 (droit à un procès équitable) et 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

 

Si, de prime abord, cet arrêt du 17 octobre 2019 semble remettre en cause l’interdiction de filmer directement les salariés sur leur poste de travail à leur insu, il est nécessaire de tempérer la portée.

 

La CEDH doit s’assurer du respect des dispositions de la Convention. Il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit commises par les juridictions internes, sauf en cas d’atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention.

 

Dans la décision commentée, la CEDH a conclu à l’absence de violation de l’article 6 de la Convention s’agissant de la vidéosurveillance, estimant que « l’utilisation comme preuve des images obtenues par vidéosurveillance n’a[vait] pas porté atteinte au caractère équitable de la procédure en l’espèce ».

 

De surcroît, si l’article 6 de la Convention garantit le droit à un procès équitable, il ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves en tant que telles, matière qui relève du droit interne exclusivement.

 

En outre, les juridictions espagnoles ont tenu compte de l’intérêt légitime pour l’employeur de prendre les mesures utiles pour découvrir l’origine des pertes constatées et de sanctionner les salariés responsables, dans le but d’assurer la protection de ses biens et le bon fonctionnement de l’entreprise.

 

La CEDH a validé ce raisonnement au regard de l’article 8 de la Convention, en retenant que les moyens utilisés étaient nécessaires et proportionnels à l’atteinte à la vie privée des salariés mis en cause, compte tenu des soupçons raisonnables de graves irrégularités, ce d’autant plus que les caméras dissimulées – installées pendant une courte durée – ne filmaient pas l’ensemble des salariés mais seulement ceux affectés aux caisses, susceptibles d’être à l’origine des pertes constatées :

 

« Dans les circonstances de l’espèce, il n’existait pas d’autres moyens permettant d’atteindre le but légitime poursuivi et que la mesure devait dès lors être jugée « nécessaire » au sens de la jurisprudence du Tribunal constitutionnel.

 

Même s’il aurait été souhaitable que les juridictions internes examinent de manière plus approfondie la possibilité pour l’employeur de recourir à d’autres mesures, moins intrusives pour la vie privée des salariés, la Cour ne peut que relever que l’ampleur des pertes constatées par l’employeur pouvaient donner à penser que des vols avaient été commis par plusieurs personnes et qu’informer l’un quelconque des membres du personnel risquait effectivement de compromettre le but de la vidéosurveillance qui était, comme l’ont relevé ces juridictions, de découvrir d’éventuels responsables de vols mais aussi de s’assurer des preuves permettant de prendre des mesures disciplinaires à leur égard.

 

La Cour relève ensuite que le droit interne prévoyait un certain nombre de garanties visant à prévenir les ingérences abusives dans les droits des personnes dont les données personnelles faisaient l’objet d’une collecte ou d’un traitement ».

 

La position retenue par les juridictions espagnoles et par la CEDH dans cette affaire sont à opposer à la sévérité de la Cour de cassation sur ce sujet  à l’égard des employeurs : en l’état de la jurisprudence, un tel dispositif de vidéosurveillance et de telles modalités de mise en place (à l’insu des salariés, sans en informer préalablement les salariés et les représentants du personnel ; et ici sans autorisation du préfet) ne seraient pas validés par les juges français pour justifier d’une procédure de sanction ou de licenciement contre les salariés concernés.