Précisions sur l’étendue de la protection du jeune père suite à la naissance d’un enfant

Par Julie De Oliveira et Olivier Laratte

Lors d’un déplacement dans un centre de protection maternelle infantile le 23 septembre dernier, le Président de la République Emmanuel Macron est revenu sur la réforme du régime du congé paternité intégrée au projet de loi de financement de la sécurité sociale 2021 dont l’entrée en vigueur est prévue au mois de juillet 2021, en apportant deux précisions majeures :

 

  • Son allongement de 11 jours consécutifs (18 en cas de naissance multiple) à 25 jours (32 en cas de naissance multiple) auxquels s’ajoutent les 3 jours relatifs au congé de naissance ;

 

  • Un minimum obligatoire de 7 jours, alors que le congé paternité est actuellement facultatif (article L. 1225-35 du code du travail).

 

De son côté, la chambre sociale de la Cour de cassation refusait sept jours plus tard dans un arrêt du 30 septembre 2020 d’étendre aux jeunes pères la protection contre « les mesures préparatoires au licenciement » accordée aux mères pendant leur congé maternité.

 

Qu’est-ce qu’une mesure préparatoire au licenciement ?

 

En principe, l’existence de mesures préparatoires au licenciement est laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. soc. 14 septembre 2016, n°15-15.943  ; Cass. soc. 6 novembre 2019, n°18-20.909).

 

Néanmoins, les décisions rendues par la Cour de cassation donnent des indications sur les contours de cette notion.

 

Il s’agit d’actes qui révèlent que la décision de licencier a été prise pendant le congé maternité.

 

Cela vise évidemment la convocation à l’entretien préalable mais également :

 

 – La décision de remplacer définitivement une salariée pendant son congé maternité (Cass. soc. 15 septembre 2010, n°08-43.299),

 

 – L’information donnée à la salariée, durant son congé maternité, qu’elle fait partie d’un projet de licenciement collectif pour motif économique (Cass. soc 1er février 2017, n°15-26.250).

 

En revanche, ne constitue pas un acte préparatoire prohibé le fait de se rapprocher de la salariée durant son congé maternité afin de préparer son reclassement en raison de la suppression de son poste dans le cadre d’un PSE (Cass. soc. 14 septembre 2016, n°15-15.943).

 

 

Actuellement, la protection contre ces mesures pour les jeunes pères est prévue par l’article L. 1225-4-1 du code du travail (instauré par la loi n°2014-873 du 4 août 2014) qui dispose qu’« aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d’un salarié pendant les « dix » semaines suivant la naissance de son enfant ».

 

Avant la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, ce délai était de quatre semaines.

 

Cette protection est identique à celle dont bénéficient les jeunes mères.

 

Ce texte ajoute cependant que « l’employeur peut rompre le contrat s’il justifie d’une faute grave de l’intéressé ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l’arrivée de l’enfant ».

 

Une question restait sans réponse, celle de savoir si les mesures préparatoires à un licenciement fondé sur un motif autre que les deux susvisés étaient possibles pendant la période de protection ?

 

La chambre sociale de la Cour de cassation a répondu par l’affirmative dans sa décision du 30 septembre dernier.

 

Dans cette affaire, un salarié avait pris trois jours de congés à la suite de la naissance de son enfant le 20 novembre 2015 et bénéficiait de la période de protection de quatre semaines alors prévue par la loi (aujourd’hui dix semaines).

 

L’interdiction pour l’employeur de le licencier courait donc jusqu’au 18 décembre 2015, sauf faute grave ou impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à l’arrivée de l’enfant.

 

Le salarié était convoqué à un entretien préalable fixé avant le 18 décembre 2015.

 

Son licenciement pour insuffisance professionnelle lui était notifié le 23 décembre suivant.

 

Le jeune père contestait la validité de son licenciement en invoquant la règle posée à l’origine par la jurisprudence européenne puis par la Cour de cassation indiquant que les actes préparatoires au licenciement étaient prohibés pendant la période de protection dont bénéficient les salariées en congé maternité, peu importe le motif du licenciement (CJCE, 11 octobre 2007, aff. C-460/06, Paquay ; Cass. soc. 15 septembre 2010, n°08-43.299  ; Cass. soc. 1er février 2017 n°15-26.250).

 

L’argument du salarié consistait principalement à soutenir que la directive européenne 92/85 du 19 octobre 1992 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé au travail des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes avait vocation à s’appliquer lors de la naissance d’un enfant, à l’égard du père ou de la mère indifféremment, et n’était pas liée à la période de protection de la maternité.

 

Les juges du fond se positionnaient en sa faveur en considérant son licenciement nul en raison de l’existence de mesures préparatoires au licenciement (convocation et entretien préalable) pendant la période de protection et en ordonnant sa réintégration.

 

La Cour de cassation casse et annule cette décision au motif que « l’article L.1225-4-1 du code du travail (…) ne met pas en œuvre l’article 10 de la directive 92/85 du 19 octobre 1992 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail ».

 

Bien que les termes utilisés « ne met pas en œuvre » soient ambigus, la Haute juridiction fait bien la distinction entre le régime de protection applicable aux salariées pendant leur congé maternité et celui applicable aux jeunes pères suite à la naissance de l’enfant.

 

Le régime de ces derniers est considéré comme un régime de protection dite « relative » contre le licenciement tandis que celui des salariées en congé maternité est un régime de protection dite « absolue ».

 

A travers cet arrêt, la Cour de cassation rappelle également que la directive européenne 92/85 du 19 octobre 1992 n’est applicable qu’aux « travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail ».

 

Les employeurs sont toutefois invités à faire preuve de vigilance lorsque le licenciement d’un jeune père est envisagé puisqu’en cas de contentieux un juge pourrait toujours retenir que le véritable motif du licenciement est la naissance de l’enfant et par conséquent le requalifier en licenciement nul pour discrimination (article L. 1132-1 du code du travail).

 

Cass. soc. 30 septembre 2020 n°19-12.036 FS-PB

 

Pour toute information, contactez Julie De Oliveira (deoliveira@pechenard.com)