La preuve en matière prud’homale

Par Julie De Oliveira et Clémentine Bensimon

La preuve occupe une place centrale lors de tout contentieux, le but étant d’emporter la conviction du juge.

 

Ceci est d’autant plus vrai que le doute profite au salarié.

 

En matière prud’homale, la preuve est libre.

 

Il sera rappelé brièvement ci-dessous les principaux modes de preuve admissibles devant le conseil de prud’hommes.

 

Les écrits

 

La preuve littérale est un moyen de preuve préconstitué, établi préalablement à toute contestation ou litige.

 

L’écrit est admis en tant que preuve à condition qu’il soit possible d’en identifier l’auteur et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à garantir son intégrité. L’écrit est alors considéré comme un moyen de preuve particulièrement crédible et fiable.

 

En matière prud’homale, il s’agit le plus souvent de correspondances, de documents contractuels, d’éléments liés à une procédure disciplinaire ou de licenciement, de pièces médicales, de documents administratifs apportant à l’entreprise (registre du personnel, règlement intérieur, notes de services etc…).

 

En pratique, il est important d’avoir le réflexe de conserver ces éléments dans le dossier du salarié.

 

Les attestations

 

L’attestation (ou le témoignage) doit obéir aux conditions de forme prévues par l’article 202 du code la procédure civile.

 

Ainsi, il est nécessaire que son auteur précise :

 

– les faits qu’il a personnellement constatés. En revanche, si la personne rapporte simplement ce qu’on lui a dit ou raconté, la force probante du témoignage ou de l’attestation est amoindrie voire réduite à néant ;

– ses noms, prénoms, date et lieu de naissance, domicile et profession ;

– son lien de parenté ou d’alliance avec les parties, de subordination à leur égard, de collaboration ou de communauté d’intérêts avec elles ;

 

L’auteur doit indiquer en outre que cette attestation est établie en vue de sa production en justice et que son auteur a connaissance qu’un faux témoignage de sa part l’expose à des sanctions pénales.

 

L’attestation est écrite, datée et signée de la main de son auteur. Celui-ci doit lui annexer, en original ou en photocopie, tout document officiel justifiant de son identité et comportant sa signature.

 

A défaut, elle peut être rejetée ou constituer seulement un commencement de preuve, même si en pratique, force est de constater que les juridictions prud’homales retiennent dans les débats les témoignages qui ne respectent pas pleinement les conditions requises.

 

Il appartient aux juges du fond d’apprécier souverainement si l’attestation présente ou non les garanties suffisantes pour emporter leur conviction.

 

Très récemment, la chambre sociale de la Cour de cassation a précisé pour la première fois que le juge ne pouvait pas fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes quand bien même les parties avaient pu en prendre connaissance et présenter leurs observations (Cass. soc. 4 juillet 2018, n° 17-18241).

 

En pratique, il est recommandé de faire établir ces attestations dès la survenance des faits litigieux, avant tout contentieux, sous peine que les personnes intéressées refusent de le faire ultérieurement ou ne se souviennent plus de leurs constatations.

 

Les sommations de communiquer entre les parties et les notes en délibéré

 

Lors d’un contentieux, les parties ont l’obligation de faire connaître leurs arguments et les éléments de preuve qu’elles comptent invoquer, afin de respecter le principe du contradictoire.

 

Aussi, lorsqu’une partie conserve par-devers elle des pièces dont la connaissance est importante pour la solution du litige, l’autre partie, qui en a connaissance ou en suppose l’existence, peut lui adresser, par voie officielle, une sommation de communiquer les pièces en question (équivalente à une mise en demeure), à charge pour la partie visée de produire les éléments demandés ou non, la juridiction prud’homale en tirant toutes les conséquences utiles.

 

Désormais, le conseil de prud’hommes établit un calendrier de procédure que les parties doivent respecter pour la communication de leurs pièces et écritures.

 

Une audience de procédure dite de mise en état constate si l’affaire est ou n’est pas en état d’être plaidée. Dans l’affirmative, la clôture des débats peut être ordonnée. Dans ce cas, aucune pièce complémentaire ni aucun nouveau jeu de conclusions ne peut être versé aux débats (sauf à solliciter un rabat de clôture).

 

Il reste toutefois possible que les parties soient amenées à remettre des notes en délibéré aux juges après les plaidoiries, alors que l’affaire a été mise en délibéré. Mais il faut que la juridiction les y ait autorisées ou en ait fait elle-même la demande pour être éclairée sur un ou plusieurs points du débat.

 

Le rôle du juge

 

Dans le cadre d’un contentieux, le juge n’est pas cantonné au statut d’observateur des échanges des parties au litige. Il peut intervenir activement dans les débats.

 

  • Les mesures d’instruction

 

Selon l’article 10 du code de procédure civile, « le juge a le pouvoir d’ordonner d’office toutes les mesures d’instruction légalement admissibles ».

 

En effet, lorsque le juge s’estime insuffisamment éclairé sur le cas qui lui est soumis, il peut ordonner des mesures d’instruction que ce soit en bureau de conciliation et d’orientation, en bureau de jugement ou en référé, soit d’office soit à la demande des parties.

 

Il s’agit d’une faculté offerte au juge qui ne peut être contraint de prendre une telle mesure s’il ne l’estime pas nécessaire.

 

Selon l’article 146 du Code de procédure civile, les mesures d’instruction ne peuvent être initiées que si les parties ont déjà fourni au juge un certain nombre de preuves ou d’éléments de fait pertinents puisqu’elles ne sont pas destinées à suppléer la carence des parties.

 

Parmi les mesures d’instruction ordinaires, il y a :

 

– l’enquête (entièrement régie par le code de procédure civile). Il incombe à la partie qui la sollicite de désigner les personnes dont elle souhaite l’audition. En cas d’impossibilité de désignation dans la demande, le juge peut soit autoriser la partie à se présenter à l’enquête avec les témoins qu’elle souhaite faire intervenir, soit fixer un délai dans lequel elle devra faire connaitre l’identité des témoins au greffe du conseil ;

– les vérifications personnelles du juge qui sont des mesures simples auxquelles il n’est que très rarement recouru ;

– la comparution personnelle des parties qui vise à éclairer le juge en lui permettant de les interroger directement. Cette mesure peut être décidée aussi bien par le bureau de conciliation que par le bureau de jugement. Le principe du contradictoire doit être respecté.

 

  • Les missions des conseillers rapporteurs

 

Le conseiller rapporteur est une institution propre à la juridiction prud’homale prévue à l’article L. 1454-1-2 du Code du travail.

 

Le conseiller prud’homal a la faculté de recourir aux conseillers rapporteurs à tous les stades de la procédure, d’office ou à la demande d’une des parties, lorsque le dossier qui leur est soumis comporte un certain nombre d’éléments qu’ils estiment insuffisants pour pouvoir statuer.

 

La décision tendant à la désignation d’un conseiller rapporteur n’est pas susceptible d’appel.

 

Le conseiller rapporteur a le pouvoir de concilier les parties. Le cas échéant, il doit rédiger un procès-verbal formalisant la teneur de l’accord.

 

Mais la mission première du conseiller rapporteur est de mettre l’affaire en état d’être jugée. Il lui incombe de réunir tous les éléments de nature à éclairer utilement le bureau de jugement.

 

A ce titre, il a des pouvoirs d’instruction (audition des témoins, injonction de communiquer des pièces, etc.). Il peut également ordonner toutes les mesures nécessaires à la conservation des preuves.

 

Tout ceci dans le respect du principe du contradictoire et de l’étendue de sa mission telle qu’elle a pu être définie par les conseillers prud’homaux qui l’ont désigné.

 

La mission du conseiller rapporteur se termine par la rédaction d’un rapport et par le renvoi de l’affaire devant le bureau de jugement pour plaidoiries, le rapport constituant un simple élément d’appréciation.

 

  • La production forcée des preuves

 

Selon l’article 11 du Code de procédure civile, le juge a le pouvoir d’ordonner aux parties mais aussi aux tiers, la production des éléments de preuve qu’ils détiennent et qu’il estime nécessaires à l’examen du litige.

 

Ce pouvoir peut être exercé à tous les stades de la procédure et être assorti d’une astreinte. Cependant, cette mesure ne peut être ordonnée qu’à la demande expresse de l’une des parties.

 

L’article 145 du code procédure civile permet au juge prud’homal saisi en référé (Cass. soc. 27 mai 1997, n° 95-41765) ou au juge du TGI saisi par ordonnance sur requête, d’ordonner les mesures d’instructions légalement admissibles à la demande de tout intéressé « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige ».

 

Il faut savoir que l’ordonnance sur requête permet, par l’effet de surprise qu’elle emporte sur la partie adverse, de se procurer de façon sûre les éléments de preuve que celle-ci détient.

 

En matière prud’homale, l’ordonnance sur requête peut présenter un fort intérêt pour l’employeur qui souhaite par exemple établir qu’un salarié travaille durant son arrêt maladie ou a une seconde activité professionnelle et n’a d’autre choix que de le faire constater par surprise par un officier public.

 

• Le recours à des tiers techniciens

 

Le recours aux tiers techniciens est possible en dehors de tout contentieux ou en cas de contentieux, tout au long de la procédure. Dans cette dernière hypothèse, le juge prud’homal a la faculté de recourir à des expertises.

 

Les tiers techniciens peuvent se voir confier trois types de missions : les constatations, les consultations et l’expertise.

 

Les constatations et les consultations sont les mesures les plus courantes et les moins onéreuses.

 

La constatation consiste principalement à demander à un huissier de justice de dresser un procès-verbal sur des faits précis qui sera soit conservé au dossier du salarié soit produit aux débats en cas de contentieux.

 

La consultation se rapproche de l’expertise en ce qu’un avis du technicien est sollicité. Cependant, elle a un caractère plus simple et plus expéditif que l’expertise.

 

La mission d’expertise est la mesure la plus lourde et la plus onéreuse.

 

L’expert a la possibilité d’entendre des tiers qui peuvent lui apporter des informations pour l’éclairer sur ses propres constatations. Il peut en outre solliciter la production des documents qui sont en la possession des parties. En cas de refus, le juge pourra ordonner leur production, le cas échéant, sous astreinte, ou tirer les conséquences du refus.

 

Toutes les mesures que l’expert sera amené à entreprendre pendant sa mission doivent impérativement respecter le principe du contradictoire. A défaut, son rapport pourra être écarté des débats.

 

Les limites à la liberté de la preuve

 

Enfin, il est important de garder en tête que si la preuve est libre en matière prud’homale, il n’en demeure pas moins que le principe de loyauté doit être scrupuleusement respecté par les parties.

 

Ainsi, l’employeur devra nécessairement respecter la vie privée du salarié.

 

La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de préciser qu’il était possible pour l’employeur d’utiliser (Cass. soc. 17 mai 2005, n° 03-40017 ; Cass. soc. 12 février 2013, n° 11-28649 ; Cass. soc. 19 avril 2005, n° 02-46295) :

 

– la page Facebook d’un salarié mais uniquement si son accès est ouvert au plus grand nombre (amis et amis des amis) ;

– les fichiers identifiés par le salarié comme personnels sur le disque dur de l’ordinateur mis à sa disposition mais uniquement s’ils sont ouverts en présence et avec l’accord du salarié en question ;

– le contenu d’une clé USB appartenant au salarié et branchée sur l’ordinateur professionnel. En effet, dès qu’elle est connectée à un outil informatique mis à la disposition du salarié par l’employeur pour l’exécution de son travail, elle est présumée être utilisée à des fins professionnelles pour les fichiers non identifiés comme personnels qu’elle contient ;

– les enregistrements vidéo des lieux de travail à la condition que la mise en place d’une caméra de surveillance n’ait pas pour objet de filmer les salariés sur leur poste de travail (sauf circonstance particulière). L’employeur doit alors respecter un formalisme strict (information-consultation des IRP, déclaration à la CNIL, information individuelle et collective des salariés).

 

En revanche, ne sont pas admis comme mode de preuve :

 

– l’organisation d’un stratagème ;

– la filature du salarié par un détective privé ;

– l’utilisation des messages personnels émis par le salarié ou reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail.

 

Ainsi, les employeurs (tout comme les salariés) disposent d’un large panel de modes de preuve pouvant contribuer à les prémunir contre le risque prud’homal.

 

A charge pour eux de réunir les pièces utiles suffisamment en amont, avec le soutien de leur conseil, afin d’éviter d’éventuelles difficultés ensuite, notamment si la société a fait l’objet, entre temps, d’une restructuration, d’une réorganisation ou d’un déménagement par exemple. Il peut également arriver que les documents recherchés soient archivés, effacés ou égarés, etc. si un laps de temps trop important s’est écoulé.