Prise d’acte : des faits anciens peuvent fonder la demande du salarié

Par Julie De Oliveira et Azeline Hubert

La chambre sociale de la Cour de cassation poursuit sa construction jurisprudentielle de la notion de prise d’acte et confirme, par un arrêt du 15 janvier dernier (n°18-23417), sa position concernant l’appréciation des faits la justifiant et lui donnant les effets d’un licenciement nul.

 

Aux termes de l’arrêt de principe du 26 mars 2014 (n°12-23634), la Haute Juridiction a considéré que les faits venant fonder une prise d’acte devaient être constitutifs de « manquements suffisamment graves » empêchant la poursuite du contrat de travail, excluant ainsi les faits anciens (Cass. soc. 26 mars 2014, n°12-23634).

 

Pourtant, dès 2015, il a été admis que « nonobstant leur ancienneté », des faits de harcèlement à l’encontre d’un salarié, en arrêt de travail depuis 18 mois au moment de la prise d’acte, justifiaient la rupture aux torts de l’employeur (Cass. soc. 11 décembre 2015, n°14-15670).

 

La Cour de cassation a également précisé en 2018 que le juge du fond ne pouvait écarter un manquement au seul motif de son ancienneté. Il lui appartenait « d’apprécier la réalité et la gravité de de tous les manquements et de dire s’ils étaient de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail » (Cass. soc. 19 décembre 2018, n°16-20522).

 

L’arrêt commenté s’inscrit dans la continuité de ces arrêts.

 

En l’espèce, un salarié avait sollicité la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur auprès du conseil de prud’hommes. Il notifiait ensuite à son employeur son intention de faire valoir ses droits à la retraite puis en demandait finalement la requalification en une prise d’acte produisant les effets d’un licenciement nul.

 

Au soutien de ses demandes, le salarié alléguait des faits anciens de harcèlement moral de plus de vingt ans (actes d’intimidation, d’humiliations et de menaces, surcharge de travail, dégradation de ses conditions de travail) et de discrimination syndicale l’ayant conduit à l’épuisement et l’ayant poussé à demander sa mise à la retraite.

 

La cour d’appel de Toulouse a accueilli favorablement l’argumentaire du salarié et a requalifié sa demande de mise à la retraite en une prise d’acte produisant les effets d’un licenciement nul.

 

L’employeur a formé un pourvoi en cassation arguant que la prise d’acte de la rupture n’était justifiée qu’en cas de manquements suffisamment graves faisant obstacle à la poursuite du contrat de travail. Or, selon lui, les faits anciens allégués n’avaient pas de toute évidence rendu impossible le maintien de la relation de travail.

 

La cour de cassation rejette le pourvoi, estimant que « la persistance [des] manquements [de l’employeur] rendait impossible la poursuite du contrat de travail » et justifiait la prise d’acte du salarié qui devait s’apprécier comme un licenciement nul.

 

Par cette décision non publiée au Bulletin, la Cour de cassation confirme la position qu’elle avait déjà amorcée en 2015 : l’ancienneté des faits, leur persistance dans le temps et leur impact sur la carrière et la rémunération du salarié constituent des circonstances aggravantes propres à fonder une prise d’acte aux torts de l’employeur.

 

La prudence est donc de mise : des faits anciens peuvent relever du contrôle des juges du fond sur la prise d’acte s’ils présentent une certaine gravité.