La responsabilité de la personne morale en cas de non-dénonciation de l’auteur d’une infraction routière commise avec un véhicule de société

Par Julie De Oliveira et Olivier Laratte

Depuis le 1er janvier 2017 et l’introduction de l’article L. 121-6 dans le Code de la route par la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016, le représentant légal d’une personne morale a une obligation de dénonciation de l’auteur d’une infraction au Code de la route commise au volant d’un véhicule immatriculé au nom de la société.

 

Le représentant légal qui reçoit un avis de contravention a l’obligation d’indiquer dans un délai de 45 jours à compter de l’envoi ou de la remise de l’avis de contravention, par lettre recommandée avec avis de réception ou de façon dématérialisée, à l’Agence Nationale de Traitement Automatisé des Infractions (ANTAI), l’identité et l’adresse de la personne physique qui conduisait ce véhicule, à moins qu’il ne s’agisse d’un vol, d’une usurpation de plaque d’immatriculation ou de tout autre évènement de force majeure.

 

Si le représentant légal ne respecte pas cette obligation, il encourt l’amende prévue pour les contraventions de quatrième classe.

 

C’est le volet répressif de cet article et ses modalités d’application qui ont suscité beaucoup d’interrogations en pratique et chez les professionnels du droit.

 

Le deuxième alinéa de l’article L. 121-6 du Code de la route a été notamment interprété par le ministère public du Centre Automatisé de Constatation des Infractions Routières (CACIR) comme devant s’appliquer, non pas au responsable légal de la personne morale sur lequel pèse l’obligation de désigner l’auteur de l’infraction, mais sur la personne morale qu’il représente.

 

Cette interprétation a des conséquences importantes car le montant des amendes encourues n’est pas le même pour le représentant légal personne physique et pour la personne morale. Il peut être cinq fois supérieur pour cette dernière (Cf. article 131-38 du Code pénal).

 

Le choix du CACIR de sanctionner la personne morale pour une infraction commise par son représentant légal n’est pas partagé par une grande partie des juridictions répressives, malgré sa validation par le Ministère de la Justice (Question écrite n°01091 de M. Jean-Louis Masson, réponse du Ministère de la justice publiée dans le JO Sénat du 15 février 2018, p.679).

 

Dans un arrêt du 3 octobre 2018 (n°18-90.020), la chambre criminelle de la Cour de cassation n’a pas répondu à la QPC qui lui était posée sur ce point en affirmant que cette interprétation du CACIR ne relevait pas d’une disposition légale mais de l’interprétation de l’article 121-6 du Code pénal qu’elle se réservait d’examiner dans le cadre normal d’un recours.

 

Il fallut attendre le 11 décembre 2018 et 4 arrêts de cassation rendus par la chambre criminelle de la Cour de cassation dont 2 publiés au Bulletin, à la suite de pourvois sur des décisions de relaxe prononcées au profit de personnes morales, pour qu’une position ferme et définitive soit prise sur le sujet.

 

Dans le premier arrêt (n°18-82.628), il s’agissait d’un véhicule de société qui avait été contrôlé pour excès de vitesse. Un avis de contravention avait été envoyé à la société détentrice du véhicule qui avait refusé de satisfaire à la demande de transmission de l’identité et de l’adresse du conducteur. La société avait contesté l’infraction puis avait été citée devant le tribunal de police qui avait considéré que les faits ne pouvaient être imputés à la personne morale mais à son représentant légal.

 

La Cour de cassation a cassé et annulé cette décision au visa des articles L. 121-6 du Code de la route et 121-2 du Code pénal qui pose les conditions d’engagement de la responsabilité pénale d’une personne morale, selon la motivation suivante :

 

« Attendu que le premier de ces textes, sur le fondement duquel le représentant légal d’une personne morale peut être poursuivi pour n’avoir pas satisfait, dans le délai qu’il prévoit, à l’obligation de communiquer l’identité et l’adresse de la personne physique qui, lors de la commission d’une infraction constatée selon les modalités prévues à l’article L.130-9 du code de la route, conduisait le véhicule détenu par cette personne morale, n’exclut pas qu’en application du second, la responsabilité pénale de la personne morale soit aussi recherchée pour cette infraction, commise pour son compte par ce représentant

 

Attendu que, pour renvoyer la société X des fins de la poursuite, le tribunal énonce que les faits ne peuvent être imputés à la personne morale mais à son représentant légal. 

 

Mais attendu qu’en statuant ainsi, le tribunal de police a méconnu les textes susvisés et le principe précédemment rappelé ; »

 

Dans le second arrêt (n°18-82.820), un véhicule immatriculé au nom de la société contrôlé en excès de vitesse avait fait l’objet d’un avis de contravention. Le représentant légal n’avait pas fait connaître l’identité et l’adresse du conducteur lors des faits, dans le délai de 45 jours de l’envoi de l’avis. Dès lors, un nouvel avis de contravention pour non désignation du conducteur du véhicule avait été envoyé à la société qui avait contesté cette dernière infraction et qui avait été citée devant le tribunal de police.

 

Le tribunal avait alors retenu que l’avis de contravention pour non désignation du conducteur devait être adressé au représentant légal de la personne morale et non à cette dernière.

 

La Cour de cassation a cassé et annulé la décision du tribunal de police en considérant que dès lors que l’infraction de non désignation du conducteur du véhicule était caractérisée, il importait peu que l’avis de contravention ait été libellé au nom de la personne morale ou de son représentant légal.

 

Ainsi, la Haute Juridiction va plus loin encore dans l’objectif de recherche des responsables d’infraction au Code de la route et prévoit désormais que le responsable légal de la personne morale mais également la société elle-même peuvent être poursuivies cumulativement.

 

Ces arrêts consacrent aussi l’autonomie de l’infraction de non-désignation du conducteur du véhicule par-rapport à l’infraction initiale.

 

Par ailleurs, dans un arrêt du 15 janvier 2019 (n°18-82.380), la chambre criminelle a précisé qu’en cas de paiement de l’amende directement par le représentant légal, sans qu’aient été respectées les formalités permettant de l’identifier comme étant le conducteur, l’infraction de non-désignation pouvait toujours être retenue tant contre le dirigeant que contre la personne morale.

 

Par ces décisions, la Haute Juridiction cherche à inciter les représentants légaux des sociétés à dénoncer les auteurs d’infraction au Code de la route et à soutenir l’objectif affiché par les pouvoirs publics de faire baisser le nombre d’accidents mortels liés au travail en luttant contre les infractions routières.

 

 

 

Cass. crim. 3 octobre 2018, n°18-90.020 inédit

Cass. crim. 11 décembre 2018, n°18-82.628 publié au Bulletin

Cass. crim 11 décembre 2018, n°18-82.820 publié au Bulletin

Cass. crim. 11 décembre 2018, n°18-81.320 inédit

Cass. crim. 11 décembre 2018, n°18-82.631 inédit

Cass. crim. 15 janvier 2019, n°18-82.380 publié au Bulletin