Un syndrome d’épuisement professionnel par l’ennui ou « bore out » peut constituer un harcèlement moral

Par Julie De Oliveira et Olivier Laratte

L’expression « bore out » renvoie à un syndrome d’épuisement professionnel dû à l’ennui provoqué par le manque de travail ou l’absence de tâches intéressantes à effectuer, engendrant une démotivation, une dévalorisation de soi, ainsi qu’une intense fatigue physique et psychique chez le salarié.

 

Dans les relations de travail, ce syndrome se traduit entre autres par le fait pour l’employeur de ne plus confier aucune tâche ou uniquement des tâches subalternes à son salarié, alors même qu’il a l’obligation de lui fournir du travail (en contrepartie de la rémunération versée).

 

Cette situation, plus couramment appelée « mise au placard » ou « placardisation », peut être invoquée par le salarié pour caractériser un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail.

 

C’est ce qui ressort de cet arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 2 juin 2020 , aux termes duquel est reconnue l’existence d’une situation de harcèlement moral à l’égard d’un salarié se plaignant de « bore out » du fait du retrait des tâches lui incombant.

 

Dans cette affaire, un salarié employé depuis 2006 comme responsable des services généraux est mis à l’écart en 2010 par son employeur. A la suite d’une crise d’épilepsie au volant de son véhicule, il est placé en arrêt maladie. Finalement, il a été licencié pour absence prolongée désorganisant l’entreprise et nécessitant son remplacement définitif.

 

Contestant la légitimité de son licenciement, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Paris de diverses demandes dont des dommages et intérêts pour harcèlement moral.

 

Les premiers juges lui ont donné raison. La cour d’appel de Paris a confirmé cette décision.

 

A l’appui de ses demandes, le salarié reprochait à son employeur :

 

  • Une pratique de mise à l’écart caractérisée par son maintien en poste pendant les dernières années de la relation de travail sans se voir confier de réelles tâches correspondant à sa qualification et à ses fonctions contractuelles.

 

  • Le fait d’avoir été affecté à des travaux subalternes relevant de fonctions d’homme à tout faire ou de concierge privé au service des dirigeants de l’entreprise.

 

  • La dégradation de ses conditions de travail, de son avenir professionnel et de son état de santé du fait de ces agissements.

 

Le salarié considérait qu’il avait été confronté à un bore-out faute de tâches à accomplir et que le manque d’activité et l’ennui l’avaient entrainé vers une profonde dépression et étaient à l’origine de la crise d’épilepsie ayant provoqué son accident.

 

Les juges du fond, après avoir rappelé que la charge de la preuve était partagée en matière de harcèlement, retiennent « de cette chronologie et de ces données circonstanciées que [le salarié] établit la matérialité des faits précis et concordant à l’appui d’un harcèlement répété et que pris dans leur ensemble, ces faits permettent de présumer un harcèlement moral. »

 

Ils se basent essentiellement sur les attestations de salariés versées aux débats, sur les données médicales produites par le salarié ainsi que sur des échanges d’e-mails dont il ressort que le salarié était « chargé d’effectuer des menus dépannages ou courses pour le compte de dirigeants de l’entreprise ».

 

La cour d’appel en déduit un lien entre les conditions de travail et la dégradation de son état de santé.

 

De son côté, l’employeur échoue à démontrer que les agissements dénoncés étaient étrangers à tout harcèlement moral, se contentant de contester les allégations du salarié, d’arguer que ce dernier ne s’était jamais plaint de sa situation auparavant et de soutenir que l’état psychologique du salarié était préexistant.

 

Dans ces conditions, la cour d’appel de Paris retient que le harcèlement moral est établi et que l’absence prolongée est une conséquence de l’altération de l’état de santé du salarié consécutive au harcèlement moral dont il a fait l’objet. Elle condamne l’employeur à 5.000 € à titre de dommages et intérêts, outre 35.000 € d’indemnité pour licenciement nul.

 

En réalité, ce n’est pas la première fois que les juges du fond reconnaissent une situation de harcèlement moral à l’égard d’un salarié se prévalant de « bore out ».

 

La cour d’appel de Versailles, dans un arrêt du 20 septembre 2018, avait déjà rendu une décision en ce sens à l’égard d’un salarié sans nouvelle affectation après avoir été remplacé sur son poste initial, après avoir constaté que l’employeur n’avait pas pris les mesures adéquates suite un rapport du médecin du travail signalant des situations de « bore out » dans l’entreprise (CA Versailles, 20 septembre 2018, n°16/04909).

 

Il est à noter qu’en 2016, un bilan de l’assurance maladie chiffrait déjà à plus de 10.000, les salariés atteints de maladies psychiques liées au travail (dépression, burn out, troubles anxieux…) ayant obtenu une prise en charge au titre des AT/MP, ce qui laisse présager une augmentation du contentieux sur ce type de maladie dans les années à venir.

 

Avec cette nouvelle décision – outre le contexte actuel de reprise d’activité et de gestion de la crise sanitaire liée au Covid-19 – les employeurs sont plus que jamais invités à échanger avec leurs salariés (notamment lors des entretiens professionnels) et à mettre en œuvre toutes les actions utiles, en concertation avec les représentants du personnel s’il y en a dans l’entreprise, pour lutter contre les risques psycho-sociaux. La santé et la sécurité des collaborateurs doivent rester des priorités dans le cadre des relations de travail. Améliorer la prévention est une des clés du bien-être dans l’entreprise.

 

Cour d’appel de Paris – Pôle 6 – Chambre 11. 2 juin 2020, n° 18/05421

 

 

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Julie De Oliveira : deoliveira@pechenard.com