Vote électronique : mise en place par décision unilatérale à défaut d’accord d’entreprise. Une décision inédite obtenue par le cabinet.

Par Emmanuelle Sapène et Camille Fournier

Une société de transport de voyageurs dans le Sud de la France, comptant plus de 200 salariés, pour la majorité des conducteurs, devait mettre en place des élections professionnelles en septembre 2018, pour renouveler les mandats des représentants du personnel.

 

Elle invitait donc les organisations syndicales représentatives et non représentatives à négocier le protocole d’accord préélectoral (PAP). Parallèlement, et en l’absence de délégué syndical, elle mettait en place, par décision unilatérale (DUE), le vote électronique.

 

La CGT, unique syndicat présent dans l’entreprise et très largement majoritaire, a saisi le tribunal d’instance aux fins d’obtenir la nullité de cette décision unilatérale. Elle reprochait à l’entreprise de ne pas avoir recouru à la négociation dérogatoire offerte aux partenaires sociaux en l’absence de délégué syndical (articles L 2232-24 et suivants du Code du travail).

 

Par jugement du 7 octobre 2019, le tribunal d’instance de Nice a débouté la CGT de sa demande qui a formé un pourvoi en cassation. C’est l’objet de l’arrêt de la Cour de cassation du 13 janvier 2021.

 

1° La contestation du recours au vote électronique relève-t-elle du contentieux des accords collectifs ou de celui du processus électoral ?

 

Il avait déjà été jugé que l’accord collectif portant sur le recours au vote électronique était un accord de droit commun, distinct du PAP et soumis aux conditions de validité de droit commun, dont la contestation est portée devant le tribunal judiciaire en premier ressort (Soc. 28 sept. 2011, n°10-27.370).

 

En conséquence, la société invoquait d’une part, l’irrecevabilité du pourvoi, au motif que la contestation formée devant le tribunal d’instance ne correspondait à aucune des contestations relevant du contentieux du processus électoral, d’autre part, qu’un appel aurait dû pouvoir être interjeté.

 

Dans sa note explicative, la Cour admet la pertinence de ce raisonnement. Cependant, depuis plusieurs années, juges et législateurs semblent regrouper le contentieux afférent au processus préélectoral et électoral dans les mains du juge judiciaire en dernier ressort (C.trav. art. L.2314-5 ; Soc., 31 janv. 2012, n°11-20.232, n°11-20.233). Au motif que l’accord, ou la DUE, « est exclusivement en lien avec l’organisation des élections professionnelles », il a dès lors été décidé que le recours au vote électronique relèverait désormais du tribunal judiciaire, statuant en dernier ressort. Le pourvoi était donc recevable.

 

2° La formule « à défaut d’accord », permettant à l’employeur de décider unilatéralement du recours au vote électronique, doit-elle s’analyser comme une alternative simple ou comme une subsidiarité ?

 

Maintenant une interprétation constante, la Cour de cassation affirme à nouveau que l’expression « à défaut », dans l’article L.2314-26 du Code du travail, est synonyme de « en l’absence de » (Soc 13 juillet 2010, n°10-60.148). Ainsi, ce n’est qu’à l’issue « d’une tentative loyale de négociation » n’ayant pas abouti, que l’employeur peut prévoir par DUE les modalités d’un vote électronique.

 

3° La prévalence de la négociation collective sur la DUE oblige-t-elle, en l’absence de délégués syndicaux dans l’entreprise, à recourir à la négociation dérogatoire ?

 

Optant pour la simplicité et la célérité du processus électoral, la Haute juridiction a estimé que l’objectif du législateur, à savoir favoriser le recours au vote électronique « ne serait pas rempli si, pour mettre en place un tel vote, l’employeur devait, dans le temps contraint de la préparation des élections professionnelles, franchir toutes les étapes que suppose la négociation dérogatoire, notamment par des informations préalables nécessitant des délais particuliers et le recours à la consultation des salariés eux-mêmes ».

 

Les dispositions sur la négociation dérogatoire sont ainsi des dispositions subsidiaires, dont le but est de permettre à l’employeur, en l’absence de délégués syndicaux, de parvenir malgré tout à des accords sur les thématiques relevant des négociations annuelles obligatoires.

 

La solution retenue par la Cour de cassation a le mérite d’être pragmatique, dès lors que le recours au vote électronique est déjà largement encadré par la loi, notamment par les garanties de confidentialité et de loyauté du vote.

 

 

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Cour de cassation, chambre sociale, 13 janvier 2021, n° 19-23.533, F-P+R+I

 

 

 

Pour toute information, contactez Emmanuelle Sapène (sapene@pechenard.com)