L’intérêt probatoire pour l’employeur de déposer une plainte en parallèle de la procédure disciplinaire

Par Julie De Oliveira et Florent Bouttemy

Dans une décision récente (Cass. Soc., 21 septembre 2022, n°20-16.841), la Cour de cassation a jugé qu’une preuve admise dans une procédure pénale et ayant donné lieu à une décision définitive de condamnation ne pouvait être écartée par le juge prud’homal au motif d’une possible illicéité.

 

En l’espèce, une altercation entre deux salariés appartenant à deux sociétés différentes avait été filmée par l’un des protagonistes et avait donné lieu à une condamnation des deux prévenus pour violences volontaires par le Tribunal de police.

 

Cette altercation avait été le motif du licenciement pour faute grave d’un des deux salariés qui, ayant contesté son licenciement devant le Conseil de prud’hommes, avançait qu’il avait été filmé à son insu rendant cette preuve de l’altercation irrecevable, outre le fait qu’il évoquait un montage tronqué et une altération des images, conduisant nécessairement à devoir rejeter ce moyen de preuve.

 

La Cour de cassation a rejeté l’argumentation du salarié et a validé l’analyse de la Cour d’appel qui «a[vait] décidé que l’autorité absolue de la chose jugée au pénal s’opposait à ce que le salarié soit admis à soutenir devant le juge prud’homal, l’illicéité du mode de preuve jugé probant par le juge pénal ». La vidéo litigieuse de l’altercation ne pouvait pas être écartée des débats.

 

 

Du refus de l’admission de la preuve illicite au contrôle de proportionnalité opéré par le juge prud’homal

 

Cette décision est à replacer dans le mouvement d’acceptation toujours plus large des éléments de preuve présentés devant le juge prud’homal.

 

Initialement, schématiquement, la jurisprudence pouvait paraître relativement simple : d’un côté le juge pénal admettait les preuves apportées par les parties privées au procès de manière très libérale alors que le juge civil était plus strict, écartant les preuves jugées illicites.

 

A titre d’exemple, un enregistrement clandestin réalisé par l’employeur à l’insu du salarié pouvait être admis à titre probatoire contre ce dernier par le juge pénal (Cass. Crim., 6 avril 1994, n°93-82.717) alors que le juge prud’homal écartait cette preuve obtenue par de tels moyens (Cass. Soc., 20 novembre 1991, n°88-43.120).

 

Sous l’influence du droit européen notamment, le juge prud’homal a progressivement admis des moyens de preuve qui auraient été auparavant écartés, en inscrivant dans son office le contrôle de proportionnalité entre les droits antagonistes des parties au procès, le plus souvent entre le droit à la preuve de l’employeur et le droit à la vie privée du salarié.

 

Cette évolution a été définitivement actée dans des attendus de principe éclairants de la Cour de cassation en 2020 (notamment Cass. Soc., 25 novembre 2020, n°17-19.523 ; Voir également : https://www.pechenard.com/droit-a-la-preuve-des-elements-extraits-dun-compte-prive-facebook-peuvent-justifier-le-licenciement-dun-salarie/)

 

« Il y a donc lieu de juger désormais que l’illicéité d’un moyen de preuve (…) n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi. »

 

Si cette évolution était souhaitable en ce qu’elle permet au juge de prendre en compte les spécificités de chaque espèce, ce que ne permettait pas le critère univoque « preuve illicite = preuve irrecevable », la question de la prévisibilité de l’admission des preuves produites se pose désormais pour les parties et leurs conseils.

 

 

La preuve, support d’une décision pénale, est admise nécessairement devant le juge prud’homal

 

A ce titre, l’arrêt du 21 septembre 2022 est intéressant quant aux incidences pratiques qu’il permet d’envisager.

 

En rappelant que «les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l’action publique ont au civil autorité absolue en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l’existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité ou l’innocence de ceux auxquels le fait est imputé » et que cette autorité de la chose jugée s’étend aux preuves admises par le juge pénal dans les motifs de sa décision, la Cour de cassation en déduit qu’on ne peut écarter une preuve devant le juge civil en raison de son illicéité alors que cet élément a été jugé probant sur le plan pénal.

 

Dans une telle situation, l’aléa quant à l’acceptation de la preuve illicite propre au contrôle de proportionnalité opérée par le juge prud’homal disparaît, ce dernier devant nécessairement admettre la preuve sur laquelle est fondée la décision du juge pénal.

 

Dans ces conditions, en présence de faits conduisant à un licenciement et pouvant recevoir une qualification pénale en parallèle, lorsque les preuves de ces faits peuvent être discutées quant à leur licéité devant le juge prud’homal, il est recommandé d’enclencher une procédure pénale à l’encontre de l’auteur et de l’alimenter au moins jusqu’à la certitude de l’absence de remise en cause du licenciement.

 

Ce positionnement pourra conduire à la production de nouvelles preuves issues des investigations menées par les autorités de poursuite et venant confirmer les motifs de licenciement (Cass. soc., 13 déc. 2017, n°16-17.193).

 

En tout état de cause, si la mise en œuvre d’une plainte et le suivi de la procédure subséquente jusqu’à une décision du juge pénal permettent d’écarter un aléa quant à l’admission d’une preuve à la licéité discutable, le juge prud’homal conserve la possibilité de considérer que la qualification de la faute retenue par l’employeur au soutien du licenciement n’était pas la bonne.

 

Ainsi, dans l’arrêt du 21 septembre 2022, le juge a refusé d’écarter l’enregistrement illicite au motif que le juge pénal l’avait jugé probant, mais il n’en a pas pour autant tiré les mêmes conséquences que l’employeur estimant, au regard de l’ensemble des circonstances, que la faute grave n’était pas constituée.

 

 

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Le Département Social du cabinet Péchenard & Associés répond à toutes vos questions sur les obligations de l’employeur en termes de preuve, les droits du salarié correspondants, sur l’articulation d’un litige prud’homal avec une plainte pénale ou la stratégie à mener. Il vous accompagne sur tous ces sujets, en conseil mais aussi dans le cadre de contentieux.

 

 

 

 

Pour toute information, contactez Julie De Oliveira (deoliveira@pechenard.com).